King Krule
Heimathafen, Berlin, le 9 avril 2014
Archy Marchall n’est pas ‟ce type avec une gueule d’Anglais typique avec lequel on partagerait bien une bière dans l’arrière-fond d’un pub de la banlieue londonienne”. Il a plutôt le physique de l’apprenti barman qui te servirait cette bière, et auquel tu tenterais de faire croire qu’il te doit deux pounds de plus que ce qu’il vient de te rendre. Une version britannique du François Lepic de Jules Renard que tu as peut-être harcelé durant tes années de collège et qui se serait sans doute révélé meilleur que Rupert Grint dans le rôle du faire-valoir pleurnichard d’Harry Potter dans les adaptations cinématographiques de la série. Enfin, ça, c’est ce qu’on peut se dire quand le lever de rideau le révèle sur la scène de l’Heimathafen, tout gauche dans son costume trop grand qui parachève le portrait du malheureux qui finira seul le soir du bal de promo. Mais dès qu’il ouvre la bouche passées les premières mesures de ‟Has This It ?”, la tête pensante de King Krule fait instantanément éclater cette figure de looser. Nerveux comme un boxeur maintenu dans son coin entre deux rounds, Marchall est agité de spasmes, et c’est sa voix qui assène les coups. Celle-ci, agressive, profonde et puissante, jure presque avec le corps de celui qui la possède et la travaille à son gré, contraignant les instruments à s’adapter à ses variations.
L’accueil du public est enthousiaste, qui ne s’essaie pas à chanter en chœur, mais se dandine et salue chaque titre avec entrain. Exception faite (c’est toujours sur moi que ça tombe), du double couple qui vient de se constituer à mes côtés par la grâce d’une affinité partagée pour les psychotropes. Si j’avais envie de voir des demeurés à l’hygiène discutable raconter des conneries à voix haute pendant les 3/4 du concert et se sentir pousser les ailes de la révolte parce qu’ils fument des pétards, je suppose que je suivrais la tournée de Danakil. Là, ça a le don de me mettre de mauvaise humeur. Sur scène, la prestation de King Krule se trouve rapidement gênée par des problèmes techniques, que deux techniciens peinent à résoudre et qui obligent le groupe à se lancer dans une improvisation sans guitare, non dénuée de classe mais forcément approximative. Son instrument de prédilection enfin récupéré, Marchall en profite pour présenter l’un ou l’autre titre du futur successeur de 6 Feet Beneath the Moon, et notamment ‟La Luna”, que les fans ont déjà eu l’occasion d’entendre en concert depuis quelques mois déjà. De façon générale, si les morceaux orientés garage (‟A Lizard State”) me séduisent davantage que les flâneries post-dubstep (‟Ceiling”) ou vaguement soul (‟Baby Blue”), je suis impressionné par la diversité des genres dans lesquels le jeune homme est capable de s’investir, passant avec facilité de l’éructation très brute à des instants pratiquement grime rappelant quelquefois un Mike Skinner. Et quand, avant d’annoncer le dernier morceau précédant le rappel, il entonne ‟Easy Easy”, Marchall ne fait que rappeler en acte qu’il s’est déjà doté, à vingt ans, d’un titre-phare, hymne d’une jeunesse dont il guérit l’écœurement en le criant. Petit con, va.