Kevin Morby
MAD Café Liège, le 15 juin 2015
Avec sa discrète étendue d’eau, le parc d’Avroy s’est un soir prétendu l’hôte du chantre de l’Harlem River, faisant ainsi de Liège — grâce à la bande JauneOrange — un modeste écrin pour ses quelques poèmes. Tandis que le stand de merchandising proposait des t-shirts à son effigie, ironiquement sous-titrée de la phrase Have you seen this man ?, Kevin Morby déambulait entre les spectateurs, une bouteille de Jupiler à la main, avant de se poser en retrait sur les marches du kiosque, face au café. Bien que l’on souhaite à l’artiste de connaître les grandes salles qui pourraient honorer sa valeur, rien n’était plus approprié à l’intimité de ses disques que ce lieu apaisé, étrangement familier, entre l’hypocrite nature et la ville sauvage.
Pour monter sur scène, Kevin Morby a revêtu son emblématique chemise dont la blancheur miroitait comme un phare lançant l’invitation à se rassembler. Durant les deux premiers titres, le monde s’est tranquillement amassé dans l’espace restreint où chacun, par une rare proximité, pourrait apercevoir les gouttes de sueur perler sur le front du troubadour. Ainsi, le café faisait revivre les scènes originelles des grands noms de la folk que ce dernier était en train d’invoquer. D’un coup, sur l’arpège de « Harlem River », des cris ont éclaté et la soirée prenait définitivement le sceau du génie. Sans aucune fumée, les notes diffusaient leur nébuleuse hypnotique. Morby augmentait le rythme, allait et venait d’avant en arrière en secouant la tête. Par ce mouvement, l’harmonie pure que le power trio avait tissée s’engouffrait avec énergie dans un tourbillon psychédélique, jusqu’à ce que la tension éclate dans l’ultime orgasme d’une cymbale. L’intensité de cet instant a immédiatement été soulagée par la délicatesse de « All of My Life », avant de repartir dans le roulement de « Motors Runnin ». La setlist était parfaite. Elle opérait une narration toujours en alternance de mesures et d’humeurs, sans jamais laisser entrevoir sa suite. Une performance sans cesse recommencée. Un concert s’achevant à chaque morceau.
Depuis son estrade, le ménestrel a littéralement joué avec le temps : les minutes oubliées, voltigeaient. Et même, alors que les positions des musiciens n’ont pas évolué une seule fois, le noyau énergique n’a jamais rencontré le figement. Morby se déplaçait d’ailleurs comme Bob Dylan, d’un pas dansant pour se jeter en arrière du micro et revenir rapidement souffler le vers suivant. Dans la suite, « Miles, Miles, Miles » a recréé l’explosion flamboyante que venait de flanquer « Harlem River ». Le son coulait encore selon une exécution ciselée, dans un corps mélodique savoureux. Enfin, après quelques titres plus folks que rock, vint le moment du rappel dont l’usage s’est révélé sous sa forme la plus stratégique : délivrer les auditeurs de leurs espoirs oppressifs. Alors, l’artiste a pu livrer la grâce qu’il n’avait pas le droit d’oublier ce soir, et la gloire de « Parade » se mit à vibrer. Etonnamment, ce n’est pas avec cette dernière que s’est fermé le concert, mais sur le moins légitime « The Ballad of Arlo Jones », plus commun dans la tradition folk-rock, bien qu’il possède une certaine qualité d’écriture — insignifiante à côté de « The Jester, The Tramp, & The Acrobat » restant par son absence de performance un joyau que seul le disque est autorisé à ressusciter. Toutefois, « The ballad of Arlo Jones » pouvait servir de conclusion totalisante. D’abord, par le clin d’œil aux racines et inspirations de Morby, mais surtout, par sa fluctuation martelée dont les oscillations passent de longs étirements vocaux aux énumérations sèches qui se couronnent en un cri.
Un dernier hurlement, c’était tout. La petite salle s’est retrouvée entre amis, fiers d’avoir bruyamment applaudi un homme que l’on ne voyait déjà plus. Verres à la main, le MAD café quittait Greenwich Village et redevenait la terre liégeoise. Un endroit qui suinte le songe — la capacité d’être ce qu’il désire. Comme un doute, malgré l’intensité de ce que le lieu venait de vivre. Kevin Morby s’est alors pointé comme il était arrivé, avec un naturel innocent. Sans vraiment se rendre compte si l’homme auquel on s’adressait était bien le jeune mec de Brooklyn, et pas juste une agréable rencontre de coin de comptoir, on lui parla notamment de cette impression, du rêve insoupçonné de le voir nasiller dans notre ville. Il répondit simplement, avec le sourire, comme en soufflant un de ses vers : And we did…