Kayo Dot
L'Embobineuse (Marseille), le 28 septembre 2009
Marseille, capitale européenne de la Culture en 2013, ça en fait sourire pas mal. Et à raison : les arguments utilisés pour défendre cette candidature ont été sociaux, économiques, symboliques mais surtout pas artistiques. Il faut dire que Marseille traîne depuis bien longtemps cette réputation de vide culturel, de ville qui ne vit pas avec ses arts et qui a bien du mal à se construire un agenda intéressant – Marsatac excepté, compte-rendu à venir. Bref, Marseille capitale de la Culture, c'est effectivement un comble.
Mais ceux qui connaissent bien la cité phocéenne savent que derrière cette façade franchement alarmante existe un vrai bouillonnement underground. Quelque chose de profondément déstructuré, fougueux et volcanique, par définition très difficile à synthétiser et à promouvoir. Un des repères de cette effervescence, c'est l'Embobineuse, lieu de rencontre de toutes les musiques bizarres et expérimentales. Il faut décrire quelques instants cet endroit pour en saisir la coloration, son identité incroyable. Déjà, c'est une salle qui ne s'annonce pas de l'extérieur, on y arrive pas au hasard : une porte métallique taguée à laquelle il faut frapper sur la seule foi du bon numéro postal. Et quand on vient nous ouvrir, c'est la grande étrangeté : phallus géants, têtes de poupées en forme de porte-manteaux, voiture de collection posée en plein milieu de la salle, jeu de Pong en accès libre et j'en passe. Un univers anachronique quoi, insolite mais accueillant et chaleureux. Une sorte de foyer d'accueil pour tous les déviants. Dont quelques-uns finalement assez célèbres au vu de la promiscuité des lieux : Matt Elliott, Wolf Eyes, Prefuse 73, Oxbow, Jean-Louis Costes, Papier Tigre...
Ce soir c'étaient les Américains de Kayo Dot qui étaient invités. Avant eux il y avait la performance ubuesque de Lavigna, combo local au free-core assommant. On n'a évidemment pas tout compris, mais ce fut un bon décrassage auriculaire avant l'arrivée de ce que je considère personnellement comme un des groupes les plus importants de la décennie. Kayo Dot est un groupe obscur – un peu moins depuis leur signature sur Hydrahead Records – mais il n'empêche, leur mélange inédit de King Crimson, de musique contemporaine et de chansons tristes font d'eux des monuments d'avant-garde en plus de songwriters délicieux. Serait-il très intéressant pour nous de décrire exactement leur set ? Non, ce serait parler dans l'oreille de sourds. Contentons-nous plutôt d'impressions générales : Kayo Dot est un groupe exigeant, très exigeant, aux compositions érudites et à l'exécution perfectionniste. Ce n'est pas très fun, ne le cachons pas. Mais l'impression de maîtrise, d'intelligence et de pure qualité de leur jeu laissent pantois. La musique de Kayo Dot est difficile, elle réclame beaucoup d'attention sans être absconse. Et ce qu'on a à y gagner vaut le coup de faire un effort, car c'est le nirvana qu'on peut atteindre, l'équilibre idéal entre plaisir cérébral et émotionnel grâce à une musique totale et génialement bizarre.
L'Embobineuse a fait fort pour faire venir à Marseille ce nouveau groupe culte de l'underground mondial. On les remercie pour le courage et la pertinence de leur programmation. Et gardez l'œil sur les prochains concerts qui s'y dérouleront, il y aura encore du grand – Hair Police le 9 novembre, Pigeon Funk le 27 novembre, entre autres.