JP Manova
Le Divan Du Monde, le 17 mars 2016
La dernière fois que je suis allé à un concert au Divan du Monde, c'était celui de Brother Ali, il y a cinq ans. Et que le gros barbu me pardonne : je ne crois pas avoir trouvé la force de réécouter un de ses albums depuis. Une dramatique issue que je ne me voyais pourtant pas offrir aux trois bêtes de foire qui allaient se succéder dans la petite salle parisienne, ce jeudi 17 mars : Joe Lucazz d'abord, qui a sorti, avec No Name, l'un des tous meilleurs albums de 2015 ; Sameer Ahmad ensuite, diamant brut aussi rare sur disque que sur scène ; et JP Manova enfin, daron le plus cool du rap français encore en activité. Trois bonnes raisons donc de donner rendez-vous au petit frère à Pigalle, lui qui est loin d'être un habitué des concerts de rap.
L'accueil un peu froid réservé à Joe Lucazz vers 20h, il surprend peu. Et pour cause : la salle n'est encore qu'a moitié remplie. Mais Lucazzi n'a qu'une demi-heure de show devant lui, alors il va lui falloir faire preuve de concision et de pertinence. Les présentations seront brèves et on laissera parler la musique. Pas de surprise, les cinq titres joués seront piochés parmi les (nombreux) moments de bravoure de No Name. Le phrasé est impeccable, l'ambiance de l'album sied parfaitement à la scène. Fatalement, on aurait apprécié de le voir jouer les prolongations, mais en vain : après ses trente minutes, le Black Gatsby se retire de la scène sur un "Double Whopper" d'anthologie, chaudement acclamé par une salle à présent bien remplie. Et si l'on se félicite d'avoir pu croiser J.O.E sur scène, on retiendra encore plus ce moment historique où lui et Express Bavon étaient sur la même scène pour interpréter le tubesque "Corner".
Le constat fut tout autre pour Sameer Ahmad : s'il a profité ce soir d'une fanbase plus large que son prédécesseur, son art n'a pas eu assez d'une demi-heure pour s'adapter à l'exercice de la scène. On a en effet le sentiment que le MC n'a pas tout à fait choisi les meilleurs morceaux et que ses deux backeurs ont plus alourdi son set qu'autre chose. Ainsi, le mordant qu'on lui connaît sur disque n'est apparu que de façon très épisodique, notamment lors d'un "Nouveau Sinatra" d'excellente facture. Un peu dommage pour un MC à l'écriture racée et au capital sympathie évident, et qui nous a d'ailleurs récemment promis le successeur de son indispensable Perdants Magnifiques pour courant 2016.
Quand on attaque le plat de résistance, ça fait déjà plus d'une heure qu'on hante les lieux. Et quand vient le tour de JP Manova d'investir la scène avec son DJ, son batteur et son bassiste, la bière nous est montée à la tête et le passage par la case WC devient obligatoire. Conséquence : on quitte très vite notre proximité stratégique avec le maître de cérémonie. Plutôt que de s'entêter à vouloir rester en fosse, c'est donc au premier étage de la salle qu'on terminera la soirée, entouré des allergiques à la chaleur humaine.
Soyons honnêtes: à l'exception du chaudement recommandé 19h07, on connaît mal le répertoire de Manova. Mais on va s'empresser de vite rectifier cela, ne serait-ce que pour faire honneur à son jeu de scène : à 37 berges, le Parisien n'a rien à envier à la jeunesse qui joue en concert sur ses propres bandes. Sur la scène du Divan du Monde, il est tout en muscles et en charisme, quelque part entre l'humour d'un Dieudonné période Le Divorce de Patrick et le bagout de MC Jean Gab'1. Et en vrai phénomène de scène, il donne un peu plus de sa personne à mesure que les titres s’enchaînent, avec une puissance de feu qu'on était loin de soupçonner à l'écoute de son premier album. C'est bien simple : la pression monte, pendant presque deux heures de show.
Et il ne faut pas se tromper quand le Parisien affiche une liste à rallonge d'invités : il reste et demeure l'unique vedette de la soirée. Il a d'ailleurs bien assez de sa présence scénique pour remplir une salle à ras la gueule. Ce qui n'empêche pas les présences de Rocé, SEAR lui-même, Flynt, Ekoué, Mokless et même Veerus (!) d'en ajouter encore à l'excitation qui règne sur scène. Tout le monde hurle, les nuques s'endolorissent, les fans se déchaînent et on croise même le bonnet de Joe Lucazz en train de s'exciter dans la fosse. Bref, c'est le feu.
Quand on finit par quitter le Divan du Monde, JP termine son concert sur "Longueur d'Ondes" - ce titre où il partage le même sample que le "Numbers On The Boards" de Pusha T. Et malgré la sueur qu'il a éliminé, on a bien l'impression que l'animal en garde encore sous le coude. De notre côté, on finit par capituler : il nous faut regagner notre 91 natal. Le temps de récupérer nos manteaux au vestiaire, on claque la bise à Hyacinthe (qui avait justement assuré la première partie de JP à Vendôme), avant de s'empresser de regagner la ligne 2 du métro Parisien. Encore sous le coup des multiples pintes ingurgitées, le petit frère nous offrira le genre de bonus qu'on ne gratte qu'après quelques verres en nous révélant qu'il a plusieurs fois fait de la batterie dans des soirées open mic dans des MJC. Même que le nom d'un des deux X-Men s'est immiscé dans la conversation. Un scoop tout aussi incroyable que l'événement, à n'en point douter.