Concert

Hellfest 2024

Clisson (France), le 26 juin 2024
par Guigui, le 16 juillet 2024

Au lendemain de cette 17e édition du Hellfest, le média web SudOuest titrait que celle-ci pourrait bien marquer un tournant dans le sens de l’ouverture à des groupes moins (ou pas du tout) issus de la sphère métal et encore moins extrême. Et en effet, avant même l’entame du festival, le regard sur la programmation pouvait poser certaines questions. Si une grosse machine comme Metallica avait clairement sa place en tête d’affiche du samedi en tant que fleuron et influence majeure d’un pan entier de la scène thrash metal (à ses débuts, entendons-nous bien), qu’en était-il du headliner dominical, à savoir Foo Fighters ? Si l’auteur de ces lignes sera sans doute le dernier à reprocher quoi que ce soit à la formation menée par Dave Grohl quant à la qualité de ses albums et celle de ses prestations scéniques ahurissantes, sa présence dans un festival métal comme le Hellfest l’aura tout de même amené à s’interroger. Et si bien sûr son leader n’a jamais caché son amour du genre, force est de constater qu’il fait beaucoup plus partie des potentielles têtes d’affiche de festivals plus "bobos" et généralistes comme Rock Werchter ou Pukkelpop. L’ironie de l’histoire est que vraisemblablement, Ben Barbaud, patron du Hellfest, est finalement revenu sur des paroles qu’il avait pu tenir après l’édition 2017 lorsqu’on l’interrogeait sur les éventuelles futures têtes d’affiche : « On m’a demandé si Muse, Foo Fighters ou encore Coldplay allaient venir. Nous n’irons jamais jusque-là ». Il semble avoir suivi le vieil adage disant que seul·es les imbéciles ne changent jamais d’avis. À ce train-là, d’autres pronostics encore plus fous pourraient s’ouvrir pour les éditions prochaines.

Bien sûr les Foo Fighters n’auront pas été la seule présence étonnante de cette édition 2024 puisque se seront également produits des groupes comme : Royal Blood qui, là encore, n’a pas vraiment de lien avec le genre même si la qualité musicale était au rendez-vous ; Corey Taylor en solo qui aura majoritairement offert au public une espèce de projet « cover » de ces deux autres groupes, à savoir Slipknot et Stone Sour, mais avec la puissance de ces derniers en moins, ainsi qu’un hommage un peu cheesy à son épouse. L’ami Corey a beau être l’un des meilleurs chanteurs de sa génération, il n’en reste pas moins que sa prestation n’aura pas été la plus dynamique du week-end ; The Offspring qui n’a décidément plus grand-chose à proposer à part ses hits, entendus des milliers de fois mais qui prennent encore - sauf pour votre serviteur - et des remplissages entre les morceaux à coups de « fuck yeah » pendant de (trop) longues minutes.

Fort heureusement, nous avions tout de même assez à faire parmi les scènes plus undergrounds du site, que la liste ci-dessous reflètera de manière non-exhaustive. Notons que le ratage de certaines prestations cochées pourtant dans le programme (en vrac Emperor, Satyricon, Anaal Nathrakh ou encore Acid King) nous font encore nous sentir impardonnable. Mais une mauvaise nouvelle ne venant jamais sans une bonne, certains de ces concerts sont rattrapables via Arte Concert.

LES GROSSES CLAQUES

Même si nous n’avions pas forcément pensé que du bien de Endling, le dernier album de Kvelertak, nous devons reconnaître au groupe norvégien d’indéniables qualités en live qui se sont plus que confirmées lors de leur prestation sur la Valley. Avec une énergie nous faisant gentiment penser que le groupe doit carburer au triple expresso, la formation black punk’n’roll a offert à son public une setlist qui ne laissait que peu d’occasion de respirer et menée par un frontman qui en redemandait encore et encore. Quand un concert n’offre aucune lassitude et semble n’avoir duré qu’un quart d’heure, c’est clairement bon signe.

Dans un registre plus sombre et plus envoûtant, Chelsea Wolfe a conquis son audience. Confirmant un statut de patronne, cette grande dame a fait la part belle à son excellent dernier album She Reaches Out to She Reaches Out to She, plutôt apprécié à la rédaction. Les musiciens à son service ont parfaitement rendu justice à des compositions aussi sombres et mélancoliques que puissantes, laissant le public la mâchoire à moitié ouverte. Ce qu’on appelle la classe.


Dans un style qui s’en rapproche, notons également l’excellente prestation des Bataves de Dool qui auront distillé leur dark rock metal là aussi en axant leur prestation sur leur dernier méfait The Shape Of Fluidity dont on a également parlé en des termes plutôt élogieux. Le groupe mené par Raven Van Dorst n’a plus de leçons à recevoir et séduit véritablement le public par son mélange de riffs inspirés et de mélodies aériennes. Ajoutez à cela la superbe reprise de « Love Like Blood » de Killing Joke et vous avez l’un des concerts phares du week-end.   

Dismember est l’un des groupes fondateurs du death metal old school suédois (« un des » puisqu’outre cette école, l’autre frange est plus portée sur Entombed). Lorsqu’un père comme celui-là parle, on se tait et on écoute. Et le verdict est sans appel. Un très gros death servi par un très gros son gonflé à la très grosse pédale HM-2 qui aura fait de ce live un grand moment, tout simplement.

Et à parler de gros son, citons le trio français Karras (appelé en dernière minute pour un remplacement) qui aura su tirer son épingle du jeu. Le groupe comptant dans ses rangs des musiciens ayant tous officié dans des formations du paysage métallique français des années 2000 (Aqme, Mass Hysteria ou encore Sickbag) propose ici un death grind crust des plus sévères et finalement loin des préoccupations musicales passées de ses membres. Avec un son « parpaing », Karras aura plus qu’assuré sa mission et causé quelques acouphènes.

La Belgique n’était pas en reste puisque se produisaient sur scène deux des valeurs sûres actuelles : Wiegedood et Brutus. Si le black metal sans concession du premier tenait sa place sous l’une des tentes du festival qui permettait à tout un chacun·e de profiter des décibels et fréquences graves sans être pris en sandwich, ça n’aura pas été le cas du post metal hardcore du second qui se produisait sur la Valley. On ne peut bien sûr pas reprocher au groupe d’attirer une foule phénoménale mais force aura été de constater que si le·la fan n’était pas déjà placé au moins 30 minutes à l’avance, il ou elle risquait de ne compter que sur les écrans pour distinguer quelque chose.


Enfin, toujours sur cette même Valley, nous ne pouvons pas ne pas parler de Gozu. Le quatuor metal stoner de Boston aura ravi avec sa lourdeur et son gras à l’heure du repas. Ça sent autant la boue que le désert et ça donne une prestation où le sourire ne quitte quasiment pas le visage des aficionados.
 

DES SURPRISES ET DES DÉCOUVERTES

On ne parlera ici que des concerts issus des Mainstage du festival qui ne sont a priori pas celles devant lesquels on s'attarderait le plus, et pourtant. Dans le lot on aura pu saluer les prestations de deux vieux briscards, on se sera refait des souvenirs de jeunesse et on sera passé devant une espèce de all-star band qui est plus à saluer pour sa démarche écologique que pour ses qualités musicales.

Dans la catégorie ancêtre : Kerry King et Bruce Dickinson auront fait un peu plus que le boulot. Le sieur King, se sentant fort dépourvu quand la bise fut venue pour son groupe Slayer, a décidé de remettre le couvert avec un projet perso où il reprend une formule qu’il maîtrise depuis les années 80, celle d’un thrash incisif. Le renouvellement n’est donc pas la préoccupation première mais on s’entoure de potes qui partagent le goût du classique et ça fonctionne. Si l'effet est assez moyen sur album, avouons tout de même que sur scène, cela fait son petit effet. Quant à Dickinson, la surprise était bien là. En effet, entre ses activités de frontman d’Iron Maiden et de pilote de ligne, le chanteur prend encore le temps de dérouiller son projet solo avec un enthousiasme d’adolescent. Si le style est également dans le registre du heavy metal à l’ancienne - pas forcément notre tasse de thé - on sera tout de même resté durant tout le concert au 4e rang sous une pluie battante.

Les souvenirs de jeunesse auront été assurés par les Français de Mass Hysteria et de Lofofora pour lesquels respectivement les morceaux « Contraddiction » et « Les Choses qui nous Dérangent », auront fait appel à une époque bien révolue mais à laquelle on repense avec un brin de nostalgie.

Savage Lands ne nous aura pas laissé un souvenir musical impérissable à cause d’une exécution moyenne et d’une prestation vocale poussive. Mais le projet est tout de même à évoquer pour sa démarche. Fondé par le batteur belge Dirk Verbeuren (Megadeth, ex-Soilwork et 100 autres) et soutenu par des figures de la scène métal comme Andreas Kisser (Sepultura), Robert Trujillo (Metallica) et un autre bon paquet, Savage Lands milite pour la reforestation et la protection de la biodiversité. Et si musicalement, le concert ressemblait plus à une jam entre potes, gageons que la démarche aura porté ses fruits puisque le projet aura bénéficié d’un généreux don d’1 million d’euros de la part du festival.


LES CONFIRMATIONS

Dans la case death metal, on pointera les Germano-Danois d’Asinhell qui font la part belle aux riffs qui vont droit au but et au doux relents old-school. Un groupe qui bénéficie d’emblée d’une petite renommée puisque son guitariste n’est autre que Michael Poulsen, tête pensante de la désormais célèbre machine Volbeat. Soulignons également l’excellent live du groupe culte américain Immolation qui, il faut bien le dire, n’aura jusqu’ici jamais déçu que ce soit sur album ou sur scène. Voir Immolation, c’est admirer un death metal lourd, sombre, technique et d’une foutue qualité. Et tant qu’à parler de groupe culte, citons I Am Morbid, mené par David Vincent et sa voix d’outre-tombe si singulière, et par le batteur Pete Sandoval. En reprenant un best of de leur quatuor initial Morbid Angel entourés de deux guitaristes dont nous ne développerons pas ici le côté « poseurs », le groupe a enchanté les fans de la première heure de l’ange morbide.


Côté groupes « cultes », soulignons Brujeria qui aura mis le feu avec son métal de gang sataniste mexicain pour le moins direct. On aura également été convaincu par Fear Factory alors que ce n’était pas gagné sur le papier. En effet, seul le guitariste Dino Cazares (qui a d’ailleurs officié dans Brujeria jusqu’en 2005) figure encore comme membre initial de la formation métal industriel culte des années 90. Mais le bonhomme aura finalement réussi à s’entourer d’un line-up qui vaut le détour. Et c’est ainsi que l’usine défend honorablement ses derniers titres mais aussi et surtout ses morceaux les plus accrocheurs avec la maîtrise nécessaire et surtout avec un chanteur qui, au contraire de son prédécesseur Burton C. Bell, ne pèche pas sur les parties les plus techniques.

Et que dire de Madball si ce n’est que la Warzone n’avait d’yeux que pour ce monument du hardcore new-yorkais qui n’était plus venu en terre clissonnaise depuis un moment. Freddy Cricien court, saute et distille en même temps sa rage et sa bonne humeur à un public de (majoritairement) vieux coreux bardés de tatouages et de t-shirts traduisant leur amour pour un style qui n’est pas prêt de dire son dernier mot.

Enfin, terminons par les maîtres du black métal mélodique que sont les Norvégiens de Dimmu Borgir. Si le style black metal n’a pas été des mieux représentés cette année, il était toutefois important de boucler le festival par une valeur sûre. Souvent décrié par les « trve » fans du genre, il n’en reste pas moins que « Dimmu » sait transmettre son message après plus de 30 ans d’expérience. Ça sent la gloire au Malin (certes, on n’est pas chez Watain non plus), ça contente tout le monde et ça fait foutrement plaisir à revoir.


UNE ORGA MILLIMÉTRÉE

Comme à son habitude, et vu l’ampleur qu’il a prise depuis des années, le Hellfest a encore une fois bénéficié d’une organisation millimétrée grâce à ses milliers de bénévoles. Timing, scènes, sécurité, PMR, bars, désoiffeurs ambulants…, tout était là pour que les festivaliers passent un week-end sous les meilleures auspices (gageons qu’à 330 balles le pass 4 jours, ça aurait fait mal que ça ne soit pas à la hauteur). Les équipes de prévention Hellcare étaient encore présentes en nombre cette année. Ces bénévoles qui se trouvent aux quatre coins du site (qu’on avait déjà évoqués dans notre compte-rendu du Hellfest 2023 et qui portaient le nom de Hellwatch) sont les points de contact en matière de prévention en tout genre mais aussi et surtout des personnes vers qui peuvent se tourner celles et ceux qui auraient été victimes ou témoins d’actes malveillants (harcèlement, agression…).

Pour se sustenter les stands avaient quant à eux augmenté leurs offres mais également celles sans viande. En effet, plus de 80% des foodtrucks proposaient des formules végétariennes et pas moins de 30%, des formules vegans. Pour ce qui est des préoccupations environnementales, ces mêmes stands ne délivraient que des déchets compostables sans plastique et une bonne partie proposait même des couverts…..comestibles.


AMBIANCE ET BIENVEILLANCE : TOUJOURS LES MAÎTRES-MOTS

Dans cette véritable ville vacance du métal aux décors toujours plus travaillés, ce qui frappe probablement le plus est la jovialité dont font preuve les festivaliers. Certes ça pogote avec entrain dans la fosse mais ça ramasse la moindre personne qui y aurait fait une mauvaise chute et ça s’excuse dès qu’il y a la moindre bousculade entre une scène et l’autre. Ça circule avec le sourire et câlins, bises ou simplement pouces en l’air sont de mise lorsque ça croise un confrère qui porte un t-shirt qui plait. Le Hellfest c’est tout ça à la fois. Et dans une société de plus en plus brutale comme la nôtre, ce genre de moment hors du temps a son côté salutaire.

 

Crédits photos : David Gallard @mr_guep / Nicko Guihal @nickoguihal / Matthis Van der Meulen @matthis_vandermeulen