Girls in Hawaii
Caserne Fonck, le 21 février 2014
Après un concert, j’ai l’habitude, comme beaucoup de monde, de demander aux personnes de ma connaissance qui y ont assisté leur avis sur la prestation. La plupart des opinions que j’ai recueillies concernant la performance des Girls in Hawaii, ce vendredi 21 février à la Caserne Fonck de Liège, étaient tièdes, voire négatives. À ma grande surprise, tant le set m’a paru aussi percutant qu’enlevé et rigoureux. Parmi les raisons motivant les jugements dépréciatifs, on ne peut naturellement manquer de concéder la qualité relative du son, directement liée à l’espace : le “Manège” de la Caserne Fonck est un superbe espace, tout en hauteur et dont les plafonds invitent à la rêverie, mais, à l’image du désormais célèbre HF6 des Ardentes, c’est un véritable cauchemar en matière d’acoustique, comme en témoigne Antoine Wielemans au moment de dédier un titre à l’ingé son du groupe “qui avait passé une journée difficile”. Mais, concernant le concert en lui-même, j’ai aussi entendu parler de froideur, voire de routine ou de facilité.
Après une première partie assurée par Castus, formation expérimentale et exclusivement instrumentale donnant quelquefois l’impression d’être en train de bœuffer, les membres de Girls in Hawaii sont pourtant accueillis avec beaucoup d’enthousiasme par un public venu en nombre — la date est sold out depuis longtemps, et la salle n’avait jamais accueilli une audience aussi massive à l’occasion d’un concert. Le set s’ouvre sur une exécution éthérée de “Wars”, dernier titre du très bon Everest dont le groupe avait proposé une version plus électrique parmi la collection de b-sides qui accompagnait cette dernière livraison. D’emblée, ce qui se met en place est de l’ordre de la minutie et l’évolution du groupe vers une dimension plus charpentée, où l’improvisation et l’erreur trouvent moins leur place, se mesure tant dans la concentration des différents membres du collectif que dans le respect d’une chorégraphie scénique, à laquelle participe directement le décor — une grande reproduction fixe de la cover du dernier album, rendue mouvante par des jeux de lumière et de fumée ou l’apparition sporadique (sur “Rorscharch”, en écho au clip accompagnant ce morceau, et sur le final “Flavor”) d’un triangle “so hipster 2013” redoublant la forme du massif montagneux.
Cette volonté de rigueur et le soin apporté au détail ne tiennent en rien de la pose : ils témoignent simplement d’un désir de pousser à leur maximum les possibles de Girls in Hawaii et de s’en tenir à ce que le groupe fait de mieux. Quand Antoine s’écarte de sa feuille de route et tente de dialoguer avec le public, il se rend de la sorte compte que celui-ci n’en a pas grand-chose à cirer du fait que, quand il habitait dans le coin de Vielsalm, il passait quotidiennement sous le tunnel de Cointe. Et de s’excuser aussitôt de cette digression, qui démontre en acte que c’est avant tout par le biais de sa musique que le groupe souhaite s’exprimer.
Le fait que la setlist proposée soit identique à celle des autres dates de la tournée peut également participer à instaurer un effet de distance : cette linéarité, en plus d’être pratiquement imposée par la méticulosité de la mise en scène, n’est toutefois pas problématique, dans la mesure où, loin de vouloir défendre son dernier disque uniquement, le groupe a à cœur de proposer un set équilibré, en piochant dans ses trois albums et en offrant même au public le plaisir de découvrir un titre inédit, le très bon “Connection” — dédié pour l’occasion au label Jaune Orange et dont une version studio ne devrait pas tarder à être dévoilée. Certains titres, peut-être, convainquent moins, qui laissent anticiper leur éviction future des prestations du groupe (c’est le cas, par exemple, de “Switzerland”, durant lequel j’ai le loisir de contempler les fameux plafonds que j’évoquais au début de cette chronique) ; on regrette assurément la danse frénétique de Daniel Offermann sur “Road to Luna” (désormais disparu de la setlist et remplacé par le très voisin “Grasshopper”), et on est en droit d’espérer que l’excellent morceau “Fields Of Gold” sera prochainement remis à l’honneur en live. Mais l’ensemble est tellement chargé en qualité, oscillant entre allusions toujours vibrantes (les singles “Not Dead” et “Misses”), dynamisme pop (“This Farm Will End Up in Fire”, “Sun of the Sons”, “Birthday Call”), balades douces-amères (“The Fog”, “Plan Your Escape”) et tension shoegaze (“Wars”, “Flavor”), qu’on oublie volontiers les éléments dont on aurait, très subjectivement, apprécié qu’ils gonflent une prestation aussi calibrée que solide.
Dans le Voyage au bout de la nuit de Céline, on trouve l’aphorisme souvent rabâché selon lequel « la beauté c’est comme l’alcool ou le confort, on s’y habitue, on n’y fait plus attention ». Girls in Hawaii est de ces groupes qu’on a parfois l’impression de trop bien connaître, mais à la beauté duquel il faut absolument veiller à ne pas s’habituer.
Crédit photo: Kmeron