Four Tet
104, Paris, le 23 octobre 2019
Four Tet au 104, cela avait tout pour être le concert de l’année. Frottant depuis des années cette douce frontière entre une musique électronique très pop et une certaine passion pour l’expérimentation, l'Anglais s’annonçait en grande pompe dans un des lieux les plus cool et branchés de la capitale française. Entre un spectacle de la metteuse en scène du moment et une exposition d’art contemporain, l’Espace 104 accueillait donc le Dj londonien dans une organisation rare pour un set de musique électronique : pas de première partie, une installation sans lumière avec une scène centrale surélevée, du son à 360°, et une appellation « Nouveau Live » ultra alléchante.
Et en arrivant à la salle, on a encore senti la tension monter en cherchant désespérément à rejoindre le bout de la queue d’un public qu’on n’a laissé entrer que quelques minutes avant le show. Alors sur près de 300 ou 400 mètres, les gens s’entassaient dans la rue, attendant patiemment de pouvoir s’installer dans cet antre plein de promesses. Autant vous dire qu’en se positionnant enfin à quelques centimètres de l'artiste, le voyant dans la nuit enclencher les potards de son synthétiseur modulaire et un joli software de spectrographe sur son ordinateur, la scène avait ce quelque chose d’épique.
D’où la grosse redescente qui a suivi. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons qui, cumulées à cette énorme attente que le marketing du concert avait créée, nous ont entraînés de déception en déception.
Déjà parce qu’il n’y avait rien de "nouveau" dans le set de Four Tet. L’intégralité du « live » a consisté en un mix de titres relativement récents. Genre « Two Thausend And Seventeen », « Lush », et « Planet » pour la première demi-heure du concert, tous des morceaux tirés de son New Energy de 2017. Entre quelques – peu nombreuses – raretés et des tubes que tout le monde attendait, l’intégralité du concert a consisté à passer d’un best of vaguement remanié à des interstices expérimentaux de quelques secondes. Un entre-deux confus, que d'autres manient sans comparaison avec une plus fine habileté.
D’où la seconde grosse critique de ce concert : l’apparente révolution inutile d'une installation son à 360°. Comme le reste du public, quand on a entendu le son tourner, on n’a pas pu s’empêcher de lâcher un petit sourire de satisfaction. Pourquoi ? Parce que le son à 360°, le son binaural, les expériences autres que le 2.0 ou le 2.1, tout cela est finalement assez rare pour provoquer un enthousiasme de la foule. Et puis aussi parce que cela justifiait que ce concert ait lieu dans une salle pareille, avec ses horaires de bureau et son étrange capacité - trop faible et trop grande à la fois.
Sauf que l’expérience 360° n’a jamais été véritablement travaillée par Four Tet : une piste ou un son vacillait de temps à autre autour de la scène, mais toujours dans le même sens, un peu quand ça lui prenait, et sans qu’on soit capable d’en saisir la vraie finalité esthétique. Comme on le notait dans notre compte-rendu du concert de Graham Dunning, le public est de plus en plus friand d’expériences alternatives en musiques électroniques, parfois un peu fatiguées par la frontalité Dj/public et son manque d’immersion et de participation. Ici, on avait une installation chic et classe pour la capitale, mais qui n’a jamais été correctement utilisée, alors qu’on se permettra de rappeler que cela fait plus de cinquante ans que les concerts à 360° sont monnaie courante dans tous les types de musique (Pink Floyd, l'école autour de Karlheinz Stockhausen, ou encore Eliane Radigue, pour ne citer que les plus anciens).
Et comme si toutes ces annonces affriolantes non respectées ne suffisaient pas, il faut bien avouer quelque chose : on fait tous et toutes semblant de croire que les sets « live » sont vraiment des lives, mais il n’en est rien. Comme dans la majorité des concerts house/techno, l’étiquette « live » est en réalité un raccourci malhonnête pour dire que l’artiste en question travaillera sur la partie Live d’Ableton. C’était le cas ici, et bien qu’il avait un modulaire sur la table, Four Tet naviguait surtout dans un mix de pistes préfaites. Un vrai mix live si on veut, mais cela n’a rien à voir avec ce qui se passe dans un live de musiques électriques ou acoustiques, un concert de musique classique, ou quand on va voir Arnaud Rebotini en « live », justement. Mais même en considérant cela comme un dj set très actif, on n'a pas toujours été bien certain de ce qui se tramait sur la table de Four Tet, car quelques passages que certains qualifieront d' "étonnants" étaient pour nous simplement un peu ratés.
Sans s’étendre plus qu’il n’en faudrait, puisqu’il s’agissait somme toute d’un set qui aurait eu sa place dans un club normal, il faut quand même le dire : ce soir-là au 104, la hype avait pris le contrôle, et cela au détriment du show, de la qualité musicale, et surtout d'un public dans lequel seuls les gros fans qui ne l'auraient encore jamais vu - et encore - en auront probablement eu pour leur argent.