Ezra Collective
Jazz à Vienne, le 3 juillet 2023
Si les esthètes dénigrent parfois le cadre et la pureté du son qui émane d’une scène, il faut dire que les festivals d’été savent combiner à merveille une ambiance visuelle et une atmosphère humaine à la programmation artistique. À ce petit jeu, Jazz à Vienne est une référence en Rhône-Alpes. Une petite ville romaine à quelques minutes de Lyon, au sommet de laquelle trône un amphithéâtre gigantesque donnant sur les collines qui bordent une vallée rhodanienne tirant de plus en plus vers le Sud. Au fil de la soirée, le ciel change de couleur, les étourneaux sont comme tout étourdis par la musique, et comme par bénédiction – mais vous pouvez ne pas y croire – je n’y ai jamais vu la pluie. L'un des meilleurs cadres de France ?
Malgré ce lieu si particulier, ce qui retient l’attention à Jazz à Vienne, c’est une certaine détente au niveau de l’organisation et de l’ambiance dans le public. Pas de numéro de place, on s’assoit comme on peut sur les gradins en pierre, les plus habitué·e·s ayant toujours un coussin sous le bras, les enfants qui s’ennuient de la musique se courent après dans les galeries de l’amphithéâtre, et le petit jeu des avions en papier, pas spécifique à ce festival, en est pourtant un signe assez illustrateur.
C’est également cela qui transparaît dans une programmation qui allie très finement des grands noms des musiques actuelles, des ensembles plus niche, et des classiques du jazz. Si vous voulez en comprendre un peu plus sur le sujet, on vous renvoie à notre compte-rendu de l’an passé sur le concert de Marc Rebillet, très symptomatique de la façon dont le festival gère l’actualité musicale.
Jazz à Vienne x Ezra Collective, la combinaison parfaite
Il y a donc dans ce festival de la place pour les artistes qui souhaitent construire une relation particulière avec le public, en maximisant les interactions, en favorisant les vannes et la tendresse. À ce jeu, Ezra Collective sait y faire. C’est même un mot d’ordre du batteur et frontman du groupe Femi Koleoso : faire disparaître la frontière entre la scène et le public. Une ambition très « jazz club » dans une arène pleine à craquer (plus de 7500 personnes ce lundi 3 juillet), mais qu’ils ont investi physiquement. Dès le début du concert, le ton est donné : le trompettiste Ife Ogunjobi et le saxphoniste James Mollison ne sont pas présents sur scène, mais dans le public. Au milieu de l’amphithéâtre, ils sonnent le début de la fête sur le très afrobeat « Welcome To My World ». Rejoignant peu à peu leurs camarades sur le devant de la scène avec le bassiste TJ Koleoso, ils installent le pattern fondamental de leur musique : la danse, la répétition, l’intensité. Ezra Collective n’a pas peur des morceaux longs, permettant justement de faire monter l’intensité par une reprise répétée des thèmes. Et de fait, à certains moments du concert, on aurait cru que le temps s’était arrêté.
Cette proximité avec le public, elle s’exprime également par la présence de Femi Koleoso, à l’aise au micro, et qui nous a gratifié·es d’un petit traité sur le bonheur pendant quelques minutes. Artistiquement très bien vu, philosophiquement discutable. Une pause bienvenue dans le concert et suffisamment bien sentie pour qu’on comprenne le mot d’ordre : joy. La musique live d’Ezra Collective se lance comme défi – et y parvient - de percer la tristesse par sa qualité, notamment en finissant le show sur un medley de tubes, durant lequel on retrouvera « You Can’t Steal My Joy » ou « Chapter 7 », témoins de l’importance qu’a prise le groupe dans le paysage jazz actuel. Présenté par le programmateur comme une découverte pour le public très hétérogène de Jazz à Vienne, le concert a su montrer qu’il n’en était rien.
Un show millimétré
La plus grosse différence par rapport à la dernière fois où nous avions pu les voir est clairement la construction spectaculaire de leur live. Mon camarade écrivait dans sa chronique de Where I’m Meant To Be qu'Ezra Collective était avant tout un groupe taillé pour le concert, et il est impossible de lui donner tort. Entre les passages répétés dans le public, les pauses dialoguées, la mise en place crescendo des morceaux jusqu’au pic du medley de fin de show, le public est resté debout pendant une partie non négligeable de la soirée.
Mais cette connaissance des réactions d’une audience, cette adaptation dans les postures scéniques et cette architecture très précise du concert ne seraient rien sans la qualité de jeu. Ezra Collective ne renonce pas au format traditionnel du jazz alternant le thème et les solos. Et chance pour eux, ils peuvent jouer la carte Joe Armon-Jones. Et quelle carte ! Le pianiste londonien a retourné l’amphithéâtre de Vienne à chacune de ses apparitions. La virtuosité et la précision de son jeu font de lui un atout énorme pour capter l’attention du public, peu importe son rapport au groupe. Dire que les Anglais ne jouaient qu'en première partie (de Marcus Miller, qu’on n’a pas pu voir, les navettes retour ayant été annulées au dernier moment).