Evil Superstars
Liège / Courtrai, le 18 novembre 2015
Nos lecteurs sont fantastiques : Jean-Yves, énorme fan des Evil Superstars, a écrit de sa propre initiative un petit compte-rendu de derrière les fagots de cette double soirée passée en compagnie du groupe. Voici ce qu'il a à nous dire. Merci fieu.
Evil Superstars, c’est un OVNI magnifique qui a illuminé le ciel belge dans la seconde moitié des 90’s, le temps de deux albums et d’une poignée d’EPs bien sentis. Une entité autodestructrice, aussi foutraque que sa musique, portée par son chanteur Mauro Pawlowski, sex-symbol touche-à-tout, et Tim Vanhamel, génie guitaristique à peine postpubère à l’époque, épaulés par une section rythmique démentielle et des synthés tout droit sortis des Z-Movies des années 60. Quand la renommée arrive en 1998, c’est à la faveur d’un single ultra-poppy au refrain imparable et aux paroles hilarantes, "It’s a Sad Sad Planet", et d’un "Oh Girl" au groove lo-fi irrésistible que Guy Ritchie placera dans l’excellente bande originale de son cultissime Lock, Stock and Two Smoking Barrels. Mais les ventes ne suivent pas, l’ambiance est bof et le groupe baisse le rideau quelques mois plus tard, laissant derrière lui une traînée incandescente.
Les ex-Evil ne chôment pas : Tim Vanhamel fonde Millionaire puis rejoint un temps les Eagles of Death Metal (...), tandis que Mauro multiplie les micro-projets — citons Mitsoobishy Jacson, The Love Substitutes ou Mauro & The Grooms — et rejoint dEUS en 2005 (où il bande un peu mou, malheureusement). Mais les prestations bouillantes d’Evil Superstars restent dans les esprits et les fans rêvent d’une reformation. Après un one-shot avorté en 2003, la police interdisant leur concert lors de la première anversoise du film de Tom Barman Any Way The Wind Blows, les Superstars remontent sur scène pour une date unique en 2004, dans un magnifique exercice de trolling musical : ils jouent un seul morceau, une reprise de Jerusalem, plage de plus d’une heure du très obscur groupe de stoner doom Sleep. Il faudra encore attendre près de dix ans pour les revoir sur scène, début 2013, et là encore le groupe prend les fans à rebrousse-poil : le concert est annoncé comme une heure de “cosmic synth”.
Fast-forward l’été dernier : Evil Superstars est annoncé en dernière minute à l’affiche du festival Pukkelpop, en local de l’étape, pour une date unique. Chat échaudé craint l’eau froide… c’est pourtant un Evil “classique” qui prend d’assaut le Marquee, avec plein de morceaux de l’excellent Boogie-Children-R-Us, des visuels épatants et un gros, gros son qui fait la part belle au côté le plus sombre de leur répertoire, loin du best-of facile. Tout le monde en redemande, à commencer par nous. On n’a donc pas été surpris quand leur présence a été annoncée aux impeccables festivals Sonic City de Courtrai et Le Guess Who d’Utrecht.
Mais pour se dérouiller les jambes, le groupe donnait un try-out intime à Liège, avec pour improbable décor la cafétéria d’un théâtre, bricolée pour l’occasion en salle de concert de fortune. À peu près tout ce que la Wallonie compte de musiciens se trouve dans la salle, dont les Girls in Hawaii au complet et une bonne partie de l’écurie Jaune Orange, le label liégeois qui organise, ce qui constitue un petit événement pour la Cité Ardente. On s’envoie des bonnes bières du cru pour accompagner les délicieux hamburgers préparés par un chic peye édenté dans sa friture mobile. En première partie, Kim & The Created, groupe punk/goth de L.A. qui joue très, très fort et dont on retiendra surtout la combinaison en lycra de la chanteuse, puis The K., des Liégeois dont le concert se terminera au milieu de la foule, batterie comprise. Ça réveille.
Sans chichis, les gars d’Evil Superstars, sans visuels ce soir, montent sur scène pour régler leur équipement… puis l’apocalypse commence. Les premières mesures de "Satan Is In My Ass" en guise d’intro (des maîtres trolls, on vous dit), et c’est parti pour une véritable bouillie sonore d’une grosse heure, un truc qu’on n’a pas entendu depuis le concert des copains sans ingé-son à la fête du lycée en 1997. Ouch. Sans rire, c’est difficile de reconnaître les morceaux. Pas glop, l’orga. Mais on est à Liège ici, et à Liège, on s’amuse. Le public fait contre mauvaise fortune bon cœur et l’ambiance est hallucinante, un truc qu’on n’a pas vu depuis… bah depuis le concert des copains en 1997, parce que soudain des trentenaires-voire-plus s’agitent dans tous les sens en hurlant les paroles, en scandant les changements de rythme à grands renforts de poings levés, de headbanging sans les cheveux, les corps s’entrechoquent dans un pogo pour adultes… Sur scène les Superstars donnent ce que leur musique a de plus Evil, loin des singles évidents mais plongeant dans leurs B-sides et jouant deux nouveaux morceaux, longs, durs et lourds, qui rendent l’air de la salle surchauffée plus poisseux encore — si humide que c’est la panne de courant. Et là…. Mauro & Tim se lancent dans une reprise acapella de "Bohemian Rhapsody", prenant à partie le public hilare, trop content de hurler des magnificat en chœur. Le courant revenu, "Good News for Women", excellente B-side, donne le signal d’une invasion de scène -- après tout, elle ne fait que 40 cm de haut. Mais avant d’envoyer le public ad patres avec "It’s a Sad Sad Planet" en rappel expéditif, c’est "Darkagedisco", dernier morceau de l’indispensable EP Remix Apocalyps, qui nous rappelle pourquoi on est tombé amoureux de ce groupe à l’époque. Toutes guitares désaccordées (c’est fait exprès), c’est parti pour une espèce de morceau de fanfare saoule, un truc dansant mais totalement pété, Mauro & Tim hurlant à s’en faire sauter les cordes vocales, 7 ou 8 minutes de folie comme on n’en voit plus trop… Quelques minutes plus tard, les lumières se rallument et on ne sait pas trop ce qui nous est tombés dessus.
… mais ce qu’on sait tous, c’est que bordel, on s’est bien fait violer les oreilles. Du coup, Facebook aidant, on s’est trouvé un sésame pour le concert complet à Courtrai, dans la salle De Kreun, une sorte d’Ancienne Belgique en deux fois plus petit, avec un soundsystem aussi impeccable que la référence bruxelloise. The Germans constitue une première partie idéale, avec son rock malsain mais pas trop. Quand Evil Superstars monte sur scène, la salle et le balcon sont combles. Les visuels, absents du tour de chauffe liégeois, sont parfaits pour leur musique, mêlant avec beaucoup d’humour le macabre et le NSFW. Et surtout, le son est irréprochable. Ça claque, c’est sec, c’est clair, c’est dur et lourd, et si l’ambiance est franchement polie par rapport à la veille, on prend son pied à se ramasser des baffes sonores à mesure que les titres s’enchaînent. Le premier des nouveaux morceaux, "Cosmic Dance", c’est dix minutes de stoner quasi instrumental, pesant à souhait, pendant lequel les stroboscopes obligent le public à baisser la tête pour se protéger les yeux et achever la soumission. "Laserblak", pas leur morceau le plus accessible, est un des meilleurs moments du concert, tout comme "Darkagedisco" la veille.
Si le concert liégeois restera dans les annales pour son ambiance inouïe, on est heureux d’avoir entendu ce que ES 2015 dans le ventre. Pas de nostalgie, pas de pitié, ces Superstars-là font mal, et ils le font très bien. Welkom terug mannekes.