Elysian Fields
Mérignac, Krakatoa, le 13 mars 2009
Lorsqu'un artiste épanche avec brio sa sensibilité artistique, rien de plus normal que d'honorer sa tournée en faisant acte de présence et mieux encore, en partageant ses aspirations, en tissant un lien immuable avec l'interprète... Prendre son pied en somme. C'est donc tout bonnement que je me suis retrouvé, un vendredi 13, en compagnie d'Elysian Fields, groupe new-yorkais dont la musique, onirique et sensuelle, n'a d'égal que leur classe. Venu défendre leur dernier album, The Afterlife, le groupe, formé autour du duo Jennifer Charles / Oren Bloedow, se produisait au Krakatoa (Mérignac), passage logique puisque la formation est signée sur le label bordelais Vicious Circle. Retour sur une soirée des plus mémorables.
21h, lumières tamisées, la soirée musicale débute. C'est à Julien Pras, chanteur de Calc, groupe emblématique de la scène bordelaise, que revient la tâche d'animer la première partie. L'artiste nous y délivrera 3/4 d'heure d'une prestation à la hauteur de son talent: des ballades folk inspirées, appuyées par une voix fragile, pleine de mélancolie. Les références sont là, ancrées dans le folk anglo-saxon des Elliott Smith et autres Damien Rice. Après quelques morceaux tous plus réussis les uns que les autres, l'interprète est alors accompagné au violon, rendant le propos plus étayé. Le public ne s'y trompe pas et applaudit, respectueux, la qualité de la prestation. On regrettera néanmoins de la part de l'artiste un manque de cohésion avec son audience, les seules interventions se limitant à «tu peux augmenter le son de la guitare?» ou «quelques albums de Calc en vente à l'entrée». Un petit effort de ce côté serait donc le bienvenu, au risque sinon de laisser l'auditeur dans une indifférence dommageable.
15 minutes d'entracte. Tout juste le temps de s'imbiber un tant soit peu et d'apprécier la salle. Et là, constat édifiant: sont présentes tout au plus une centaine de personnes, un public de connaisseurs, tout à fait l'image du profil du groupe, reconnu mais méconnu et ce malgré une carrière forte de 15 années de bons et loyaux services, de collaborations notables (la reprise des "Amours perdues" de Gainsbourg sur l'album Great Jewish Music) et de six albums au compteur.
L'impatience d'usage devant un tel événement laisse alors place au soulagement lorsque les artistes se présentent au public. Oren Bloedow apparaît, serein, suivi de ses collègues à la batterie et à la basse. Et sortie de nulle part, Jennifer Charles, magnifique soit-elle, tout de blanc vêtue et illuminée de mille paillettes, fait son apparition. Tout le monde retient dès lors son souffle tandis que résonnent les premières notes de "How we die", extrait de The Afterlife. L'envoûtement, qui allait durer près d'une heure vingt, prend alors effet lorsque la chanteuse dévoile son art. Sa voix, débordante de sensualité, électrise l'auditoire, résolument paré à embarquer pour un périple musical des plus planants. Suave et gracieuse, Jennifer est entourée par des musiciens transcendants, au sommet de leur art, toujours friands d'envolées lyriques jouissives. Ainsi, le piano frémit, entre douceur exquise et accents cabaret, la batterie vibre avec classe et élégance, la guitare résonne, entêtante et ténébreuse. Devant tant de maîtrise scénique, l'auditoire se voit définitivement conquis par un consensus non dissimulé au niveau des morceaux choisis : outre les morceaux les plus accrocheurs du dernier opus, les titres emblématiques de la carrière du groupe ont été abordé, à noter les excellents "Lions in the Storm", "Bend your Mind", "Bayonne" et "Lame Lady of The Highways".
Après une composition qui laissera le spectateur complètement pantois, Jennifer et sa clique s'éclipsent quelques minutes, sous nos applaudissements immodérés, puis reviennent pour nous livrer un final de toute beauté : les premières mesures de "Ashes in the Winter", conclusion de The Afterlife sont alors entonnées par le duo Charles / Bloedow, en toute intimité. Un moment d'une intensité rare, lueur évanescente que le duo s'approprie avec délicatesse, congratulant à cette occasion un public sensible à tant d'esthètisme et de sensualité. Les dernières notes délivrent leur enchantement avant de disparaître, inexorablement. Fin.
Dans un cadre intimiste, ambiance feutrée, un tourbillon de sensualité et d'élégance a emporté au gré des mélodies un public résolument conquis, le tout avec complicité ("Vous êtes une audience adorable" nous confiera Oren Bloedow, enthousiaste et visiblement ravi d'être en notre compagnie).
Je vous parlais en début de compte-rendu d'un enchantement d'une heure vingt. Pour ma part du moins, il est en train de se prolonger par une écoute quasi obsessionnelle de la discographie du groupe. Pari réussi donc.