Elbow
Paris, Le Bataclan, le 17 avril 2009
Voici plusieurs années que les fans français d'Elbow désespéraient de pouvoir admirer un jour sur scène leur groupe fétiche. Entamée l'an dernier, la tournée destinée à promouvoir le dernier bébé du groupe, l'excellent The Seldom Seen Kid, était passée par de nombreux pays européens sans faire de crochet par la France, jusqu'à ce 17 avril 2009, date à laquelle les Mancuniens ont enfin daigné faire une apparition dans l'Hexagone, quelques jours après la sortie enfin officielle de l'album par chez nous, plus d'un an après sa publication outre Manche. Nous qui, à Goûte Mes Disques, nous étions fait les échos à de multiples reprises de la grande tristesse du public français privé de son groupe chouchou, ne pouvions évidemment faire l'impasse sur cette date exceptionnelle au Bataclan (Paris), dans le cadre du festival The Hours, en mettant de côté certaines réserves a priori.
Car, pas particulièrement friand des festivals, qui vont généralement de pair avec la corvée de se taper des groupes bidons pour pouvoir écouter une formation sympa, j'ai passé outre mes lourdes réticences et fait preuve de beaucoup de courage en acceptant de subir non pas un, mais deux calvaires successifs compte tenu de la présence de ce que j'appellerai deux premières parties, même si le terme peut paraître impropre appliqué à un festival. Toujours est-il que j'étais venu voir Elbow et que les deux autres groupes, comme je le prévoyais, n'ont pas pesé lourd dans la balance ce soir. Je passe rapidement sur 49 Swimming Pools : avec un nom pareil, ce groupe français ne pouvait évidemment que se noyer dans la médiocrité. Composition effarantes de banalité, chant atone, absence de basse… Rien à sauver, appelez les pompiers, le maître nageur n'a rien pu faire.
Tout cela tombait bien : quand on parle de pompiers, on pense désormais aux affreux Fires of Rome, dont le premier album, You Kingdom You, réminiscence des pires heures des années 1980 (Genesis, Duran Duran…) nous avait déjà passablement horrifiés. Visiblement mal à l'aise sur scène, Andrew Wyatt, tétanisé par l'ampleur de la tâche consistant à précéder les demi-dieux d'Elbow, eut fort à faire pour dérider un public glacial, pas du tout impressionné par ses poses pathétiques. Il n'y est parvenu que grâce aux deux seuls morceaux potables de l'album, "Set in Stone" et "Dawn Lament", dont le pont fait manifestement beaucoup souffrir le chanteur, au point de susciter la pitié de spectateurs qui n'étaient pas venus pour assister à un tel supplice vocal ni perdre leurs oreilles à l'écoute de ce rock gras, bourrin, chevelu, puant la sueur et la bière, à mille lieues de la légèreté des compositions d'Elbow.
Deux heures quinze après le début du festival, Guy Garvey et sa petite bande foulaient enfin la scène du Bataclan, désormais joliment décorée du Rubik's Cube géant qui illustre la pochette du dernier album pour de jolis effets de lumière. Cinq hommes, accompagnés de quatre femmes, trois violonistes et une violoncelliste, le minimum syndical pour laisser s'envoler le lyrique The Seldom Seen Kid. Elbow commence avec un "E", comme "excellent", "éblouissant", "exceptionnel", "épatant" et… "élitiste". Il est vrai qu'il faut avoir longuement écouté chacun des quatre albums du groupe pour jouir de mélodies qui, souvent, ne se révèlent à l'auditeur qu'après beaucoup de patience. En l'occurrence, The Seldom Seen Kid, je le connais quasiment par cœur, et ce fut donc un bonheur presque indescriptible pendant une heure trente de concert, majoritairement composé des morceaux de ce dernier album, que le groupe a d'ailleurs entamé dans l'ordre ("Starlings", "The Bones of You", "Mirrorball"), comme sur le Live at Abbey Road, avant de faire un crochet par l'un des plus beaux morceaux de son répertoire, "Leaders of the Free World", sur l'album éponyme, le titre ayant été dédié par Garvey à Barack Obama.
Puis, piochant à quelques reprises dans chacune de ses précieuses galettes, Elbow a véritablement emballé son auditoire, dressant une ambiance intimiste et proche de la communion de fidèles, avec des titres comme "Newborn" (sur Asleep in the Back, 2001), "The Stops" et "Station Approach" (sur Leaders of the Free World, 2005) et les nombreuses pépites de son dernier opus ("Grounds for Divorce", "The Loneliness of a Tower Crane Driver", "Weather to Fly"), jusqu'à littéralement enchanter une assemblée au summum du plaisir auditif en terminant sur "One Day Like This" et son refrain particulièrement pertinent : "I can only think it must be love / Oh, anyway, it’s looking like a beautiful day". Epoustouflants de maîtrise, les membres du groupe étonnent et ravissent par leurs sourires et leur humilité, tandis que Garvey surprend par sa tendance à se tenir et à tenir le micro comme un rappeur, l'élégance du crooner en plus.
Guy, on t'aime, on adore ta ronde bonhommie, ta gentillesse qui se lit sur ton visage et se voit dans tes gestes, quand tu sers la main aux membres de ton groupe et même aux premiers rangs venus t'écouter, quand tu plaisantes avec le public, quand tu tentes quelques mots de français, et on voudrait vraiment que tu reviennes ici, pas dans trois ans, dans quelques mois ou quelques semaines, mais cette fois-ci dans le cadre d'un vrai concert, avec un rappel, pas comme la fin un peu abrupte de ce soir, et surtout avec "Powder Blue", ce morceau magique, magnifique, qui nous a fait tomber amoureux d'Elbow. Elbow avec un "E" comme "érotique", "épidermique", "édénique"…