Dour Festival 2023
Dour, le 12 juillet 2023
Dour 2023, c’est déjà fini. Cette année encore le festival est passé à une vitesse supersonique. Et comme chaque fois, dès le lundi on s'est senti orphelins, tel un fan de cyclisme après 3 semaines de Tour de France. Comme pour la Grande Boucle, le spectacle fut au rendez-vous avec des confirmations, des révélations, des déceptions, l’une ou l’autre étape de plaine un peu molle (comprenez le jeudi et le vendredi), des sommets en altitude inédits, des descentes vertigineuses, des ravitaillements loupés, des chutes sans conséquence et surtout beaucoup beaucoup beaucoup d’émotions, tout ça au pied des désormais traditionnelles éoliennes hennuyères. Alors plutôt que de vous donner les gagnants et perdants de chaque étape, on a pris une semaine pour décanter et vous livrer nos 5 leçons de cette édition 2023.
Photo d'illustration : Facebook Dour Festival
Photos de l'article : Maxime Demière
1. Aphex Twin en apothéose hallucinée
Commençons par le meilleur et donc par la fin, Dour a eu raison de délier les cordons de la bourse pour s’offrir Aphex Twin en clôture de ce millésime. Retour dimanche. Il est 23 heures. La Last Arena est bien fournie pour un dernier concert. On imagine pas mal de festivaliers avoir joué les prolongations pour assister à la prestation de Richard D. James. Moins parce que l’œuvre foisonnante du dj britannique est connue de tous que pour l’aura dont il jouit. Celle d’une légende, rare, cérébrale, énigmatique. L’entrée du set se fait en douceur, sans doute pour permettre au public d’admirer l’installation majestueuse qui servira de pendule hypnotique. Mais très vite la machine se met en branle et on sait au fond de nous qu’il faut se focaliser, s’approcher, s’accrocher, si on ne veut pas rester à quai. Les premiers sons se déploient chaotiquement et on comprend que ce n’est pas dans un train qu’on est monté mais dans un esquif, pris dans une tempête dont Eolex Twin fixe les beauforts par minute. Les morceaux s’enchaînent, accélèrent, décelèrent, se contredisent, se superposent… On passe de beats techno à des nappes ambiant puis à de la drum and bass en un éclair. On ne sait parfois pas sur quel pied danser et pourtant on se sent gagné par une houle ravageuse. On imagine très bien le plaisir que doit prendre Richard a jouer avec malice avec nos repères. Magnanime, il dévoile un clip psychédélique faisant défiler des personnalités belges, de Jacques Brel à Angèle en passant par Remco Evenepoel. Belgique qu’il connait bien pour être passé au début des 90’s par le label gantois R&S Records et y avoir signé notamment "Digeridoo", présent sur la setlist du soir. Après un enchaînement de tornades et d’accalmies, le démiurge électronique enclenche un final démentiel. La tempête s’est faite typhon. Le vacarme est assourdissant. Les écrans incontrôlables. Nos sens déboussolés. Nos cerveaux en ébullition. La plaine de Dour semble prête à plonger dans l’œil du cyclone et à entrer en fusion. L’impact est proche, on crie, on agite les bras, on saute puis soudain… le silence. Tout reprend place. Chacun regarde ses voisins, un peu hagard mais le sourire béat aux lèvres, conscient d’avoir assisté à l’un de ces concerts qui marque la vie d’un festivalier.
2. Le retour des guitares
"En 2022, pour la première fois, le festival ne programme pas de métal". La sentence est gravée sur la page Wikipedia du Dour Festival. Alors que les guitares sous toutes leurs formes ont toujours fait partie de l’ADN du festival, on sentait une tendance de fond s’installer depuis quelques années : celle de leur disparation, progressive et inexorable, de l’affiche. Quand on prend un peu de recul, cette décision n’était pas totalement dénuée de sens : Dour a toujours voulu être à l’écoute des nouvelles tendances, et force est de constater que ces dernières années, le rock n’a pas (assez) brillé par son originalité ou sa capacité à se réinventer. En s’offrant des grands noms du métal alternatif lors les deux dernières éditions pre-COVID (Full of Hell, Neurosis ou YOB), on aurait pu croire que la riposte s’organisait - mais elle n'a pas fait long feu. Et puis l’année dernière, le public pour le moins dégarni devant black midi ou Black Country, New Road - pourtant pas deux formations du genre pantouflardes - a dû conforter les organisateurs dans leur volonté de revoir leur copie une bonne fois pour toutes. Pour cette édition, ces derniers ont décidé de réagir suite au mécontentement et ont inauguré une nouvelle scène, "le Garage" . Lorsque nous avons découvert la programmation, nous n’avons pas manqué de faire part de notre scepticisme. Après coup, on comprend mieux ce que les organisateurs avaient derrière la tête. Réunir visages connus (Birds In Row, Punish Yourself, The Psychotic Monks) et pépites en devenir dans un chapiteau à la capacité limitée - 1.000 personnes, contre 8.500 dans La Petite Maison dans la Prairie, pour vous donner une idée. Et au petit jeu des belles découvertes, on se doit d’en placer une pour les Lambrini Girls, trio féminin de punk venu de Brighton qui aura mis exactement 15 secondes avant de tout faire péter, la chanteuse passant quasi l’intégralité du concert dans le public (au choix : couchée à terre, organisant les pits ou debout sur les gens). Si on aime évidemment ce genre de performance (mais qui ne rend malheureusement pas toujours justice à la qualité de l’EP You’re Welcome sorti tout récemment) et plus généralement ce travail de défrichage, on aimerait que l’un ou l’autre headliner "rock" puisse trouver sa place jusqu'à la Last Arena; et on ne parle pas ici de cinquantenaires comme dEUS qui, hormis leurs deux tubes finaux, ont manqué leur rendez-vous avec le public - la faute au costume de langouste de Tom Barman ? On est sûr que les programmateurs peuvent nous sortir un joli coup pour l’édition 2024, et que pour le prix d’un Paul Kalkbrenner ou d’un Denzel Curry, il doit être possible d’aller piquer au Pukkelpop ou à Rock Werchter un·e artiste du calibre de King Gizzard & The Lizard Wizard, Maggie Rogers, Viagra Boys ou Turnstile. Quand on voit que les Lokerse Feesten ont réussi à attirer Blur dans leurs filets cette année, on a envie de penser que tout est possible - avec un peu de volonté et quelques zéros sur le chèque, bien évidemment.
3. Dour, peut-être plus les premiers sur le rap, mais certainement pas les moins malins
C’est bien beau de critiquer une affiche pour ses (prétendues) faiblesses, mais la réalité est implacable : en 2023 (et probablement pour les années à venir), il n’est pas simple pour un festival "de tendances" d’exister sur le rap quand, pas loin de là, l’un des plus gros fournisseurs d’artistes rap (l’agence Back in the Dayz, pour ne pas la nommer) a investi dans le festival de référence sur le genre (Les Ardentes, pour ne pas les nommer). Visiblement attachée au principe du "On n’a peut-être pas de pétrole, mais on a des idées" cher à Valery Giscard D’Estaing, l’équipe du Dour Festival a certes su s’offrir quelques belles têtes d’affiche, mais a surtout choisi d’investir un créneau moins plébiscité par l’ogre liégeois, dans une approche que l’on qualifiera de Grüntologique. En effet, non content d’inviter le média de Jean Morel pour des happenings dont il a le secret, les programmateurs s’inspirent de la ligne éditoriale qu’il prône pour composer son affiche rap, avec une réussite évidente : du tonton Prince Waly (qui reviendra en Belgique pour nos 15 ans, mais doit-on vous le rappeler ?) au petit prodige H JeuneCrack en passant par l’OVNI Winnterzuko, le Dour Festival a intelligemment ciblé ses priorités en matière de rap français, mettant sur le devant de la scène toute une nouvelle génération de kickeurs qui font souffler un vent de fraîcheur sur une scène rap qui se repose parfois un peu trop sur ses lauriers.
4. Flavien Berger, prêt pour de nouvelles contrées
On commence à avoir l’habitude, Flavien Berger a encore régalé pour son passage au Dour Festival cette année. Arrivé avec sa nonchalance irrésistible, le Parisien a réussi à électriser l’assistance de la Petite Maison de la Prairie en ce vendredi début de soirée (pourquoi si tôt nom de dieu ?). A coup de beats électro, d’envolées vocales, de cadences chaloupées, il a pioché dans son triptyque pop pour amadouer les fans comme les curieux, se permettant un petit bain de foule et une tentative de remplacer le « Doureeeeuh » (qu’il doit trouver abêtissant, on ne va pas lui donner tort) pour une alternative plus mélodique, sans succès. Un "La fête noire" toujours aussi efficace en guise d’au revoir et puis c’est à peu près tout. Alors c’est déjà très bien, on est d’ailleurs assez admiratif de cette formule one man band qui colle parfaitement à son univers et qui fonctionne comme peu d’autres actuellement sans jamais donner l’impression d’un show à l’économie. Mais quand on pressent le talent du bonhomme, on a envie de croire qu’il peut encore franchir une catégorie et laisser exploser son goût de l’expérimentation alliée à sa poésie foutraque. Cela passerait sans doute par de nouvelles collaborations mais par humilité, fidélité, confort, en a-t-il seulement envie ? Quoiqu’il en soit, on se réjouit de pouvoir continuer à observer sa trajectoire de pâtre hybride.
5. Dour, havre d’éclectisme
Dans un paysage où les acteurs, toujours plus insatiables, ont définitivement décidé de se spécialiser : Le rock pour Werchter, l’électro pour Tomorrowland, le rap et le hip-hop pour les Ardentes, l’indie pour le Pukkelpop, le metal pour le Graspop, Dour ne se facilite pas la vie en voulant envoyer du bois dans tous les genres. Ça donne parfois l’impression que pour les headliners, les organisateurs doivent se contenter des restes laissés par les ogres ou attendre un ou deux ans que la hype soit passée, là où on imaginait une capacité à faire faire jeu égal auprès des bookers avec le changement de site en 2018. Mais le COVID est évidemment passé par là…
Quoiqu’il en soit, le Dour Festival reste pour nous un rendez-vous incontournable, un éclectisme assuré, un lieu où l’on peut vaguer, se laisser tenter, découvrir, repartir (un luxe quand on a connu The Barn à Werchter cette année) et cela nous semble l’esprit même d’un festival. De plus, "l’expérience Dour" est chaque année plus qualitative : une implantation des scènes désormais parfaite (avec la Boombox à côté de la Last Arena), une Balzaal toujours aussi impressionnante (peut-être trop ?), peu ou pas de file, un système cashless lié à l’application smartphone qui permet de ne pas retrouver 10 tickets dans un short le lundi, des toilettes propres et même des activités toujours plus chill proposées aux campings (ce qui n’aide pas vraiment à arriver sur le site pour le début des concerts avouons-le). Il est loin le temps où venir 5 jours à Dour s’apparentait à du journalisme gonzo. Il ne manquerait plus que des panneaux avec le nom des scènes (simple), une offre food qui donne plus de place à des propositions saines et variées et moins à la malbouffe (basique) et on commencerait à s'approcher d'une forme de perfection.
Nous avons conscience que cela a un coût mais de notre avis on pourrait sans doute tailler dans quelques gros noms qui n’apportent peut-être pas tant que ça. Car au fond qu’importe la course aux multiples têtes d’affiche ou au nombre de festivaliers (laissons ça aux grosses machines), on espère surtout chez GMD que Dour continuera à être ce lieu d’échanges et de découvertes, qui à l’instar d’un Couleur Café, jouit d’une communauté qui apprécie et soutient le festival pour son côté humain, chaleureux, curateur, parfois artisanal (avec ses bons et ses moins bons aspects). C’est un peu un cliché gauchiasse de le dire mais on préférera toujours la diversité et l’authenticité à la quantité et à l’épate - et à ce niveau-là la philosophie du Micro festival qu’on se réjouit de retrouver début août nous semble l’équilibre parfait - parce qu’en vrai, on a déjà assez de gros festivals comme ça pour un pays de 11 millions d’habitants.