Dour Festival 2017
Plaine de la machine à feu, Dour, le 12 juillet 2017
Couvrir un festival n’est pas une sinécure, et Dour n’échappe pas à la règle avec ses 7 scènes, et ses 250 artistes répartis sur 5 loooongues journées. Un véritable marathon pour les oreilles et les organismes qui s’écrit à coups de rendez-vous manqués, de bonnes (et moins bonnes) surprises, de baisses de motivation, de gros coups de chaud et de pas mal de Jupiler.
Alors plutôt que de vous assommer avec un compte-rendu long comme une sortie du parking (les galériens du lundi savent de quoi on parle), on a opté pour des « instantanés » qui ont marqué cette édition 2017. Et comme Dour c'est l'amour, vous aurez logiquement droit à un compte-rendu avec des bisous dedans. Mais comme Dour c'est aussi un peu la merde parfois, on s'est permis l'un ou l'autre tacle en mode « qui aime bien châtie bien ». Et en n'oubliant pas non plus qu'il est toujours simple de critiquer dans le confort de notre penthouse ucclois, mais qu'un festival comme Dour, ce sont des contraintes par centaines - et plein de casse-couilles dans notre genre pour leur dire comment ils devraient faire.
Jeff, Gwen, Bastien.
Crédits photo: Boris Görtz
Ce moment où tu te dis que l'affiche de rap était vraiment intouchable
Aux dires de certains (lisez "les vieux cons"), l’affiche rock était bien en deçà de ce à quoi le Dour Festival nous avait habitué ces dernières années - on ne sait trop si tout cela relève du choix stratégique ou témoigne tout simplement d'une scène indie qui tire la langue depuis un peu trop longtemps. Une chose est sûre: on aura du mal à contredire ce triste constat.
A l’inverse, s’il y a bien un public qui y aura gagné au change, c’est celui qui bouffe du double H, les programmateurs ayant clairement enclenché la sixième en 2017. Au-delà de la qualité des artistes programmés, c’est le fait que l’étendue du spectre soit représenté qui impressionne: le rap in het vlaams de Zwangere Guy, les coupes babylissées de PNL, la légendaire crasserie d’Alkpote (salope), la trap sauvageonne de Kalash Criminel, la Macarena de Damso, le flow pépouze de Jonwayne, le post-rigodon bas-canadien d’Alaclair Ensemble ou encore l’attitude « Fabe-esque » du Prince Waly. On a même eu droit à la star américaine qui avait loupé son avion et qui a justifié son statut de headliner avec un pauvre set de 25 minutes. Oui Pusha T, on digère mal le coup de pute.
C'est bien simple: impossible de ne pas trouver son bonheur à Dour, sauf peut-être pour ce pète-balls de puriste qui regrettera de ne pas avoir vu assez de « vrai rap old school ». Notre seul bémol ira finalement à la flagrante absence de grime, en dehors de la mitraillette Kano - qui nous a fait oublier l'annulation de l’étoile montante AJ Tracey avec un concert incendiaire à la hauteur de son statut de légende du genre. On est d'autant plus déçus que l'année dernière, le Dour Festival avait fait de l'excellent travail en conviant des gens comme Wiley, Stormzy ou Novelist.
Ce moment où tu te dis que le Labo porte bien son nom (mais pas toujours pour les bonnes raisons)
Sur le site officiel du festival, on peut lire qu’au Labo, on « y expérimente de nouvelles idées, on y analyse les déviances sonores et on y sonde les nouveaux courants. » Et c’est vrai que dans les faits, on a régulièrement eu cette impression en entrant dans ce qui est la seule scène entièrement fermée du festival. Car y programmer des gens comme Monolithe Noir, Mario Batkovic, Témé Tan ou Marie Davidson avait énormément de sens. Mais à l’inverse, on a également eu le sentiment que cette scène pouvant accueillir 3.000 âmes (mais bien serrées alors) était une sorte de parking un peu paumé où l’on pouvait abandonner tous ces gens qu’on avait été incapable de caser ailleurs – on se demandait un peu ce qu’un Kevin Morby, un Red Axes ou même un Blanck Mass foutaient là. Après on se dit que quand toutes les autres scènes couvertes ont une capacité de 8.000 personnes, le Dour Festival mériterait peut-être d’avoir un petit Labo qui a pour seule et unique vocation de vraiment sortir des sentiers battus, et de se doter d’une scène "intermédiaire" pouvant accueillir 3 à 4.000 personnes et qui conviendrait dans l’absolu à pas mal de groupes qui jouent trop souvent devant du vide dans La Petite Maison dans la Prairie. Mais ce qui nous a profondément dérangé avec ce Labo, c’est le contenant et non le contenu : en plus d’une chaleur étouffante (même quand la salle était peu remplie, on avait l’impression de traverser le Mordor avec notre doudoune North Face), il a fallu composer avec un son souvent calamiteux qui nous aura notamment pourri l’un des concerts que l’on attendait le plus du festival, celui des rappeurs montréalais d’Alaclair Ensemble. Et au final, c'est peut-être cela le plus regrettable pour un festival qui se veut être un lieu de découvertes - et on ne parle pas ici de toutes ces substances douteuses qui circulent sur le camping.
Ce moment où tu réalises que dès le premier jour, Kate Tempest t’as pompé toutes tes réserves d’énergie pour le festival
C’est un secret de polichinelle : la pénibilité d’un festival de Dour est comparable à une carrière entière dans l’usine chinoise qui fabrique les iPhones qui nous servent à retrouver nos potes beurrés sur le site. La fatigue est donc une composante que l’on intègre dans la manière dont on gère son festival. Mais des artistes comme Kate Tempest, c’est le genre coup de pression qui fout la jauge de vie encore un peu plus dans le rouge. On savait que sur disque (incroyable Let Them Eat Chaos) le spoken word conscientisant de l’Anglaise exigeait une attention de tous les instants, mais en live ça joue dans une autre division. Parce que pour le coup, on se prend vraiment dans la gueule ces productions rachitiques, ces idées noires, ces histoires d’Angleterre qui oublie ceux qui ont le plus besoin d'elle, cette vision très juste d’une Europe qui va droit dans le mur. Inutile de fuir car dès les premières mesures, l’Anglaise prend l’ascendant sur son public et se lance dans une chasse à l’épuisement – cette forme de chasse au cours de laquelle le chasseur fait courir sa proie jusqu’à la pousser dans un état d'épuisement tel qu'elle peut alors être facilement abattue. Exigeant mais tellement gratifiant.
Ce moment où tu te réconcilies avec le son du tuba.
La veille, la fanfare de l’Armée Française avait tenté tant bien que mal d’égayer Le Donald avec un pot-pourri de Daft Punk, provoquant à la fois sourire bienveillant et léger malaise. Dorénavant, lorsqu’il s’agira de se prendre une volée au glockenspiel et à la grosse caisse, il vaudra mieux passer la main aux Hambourgeois de Meute. A partir d’un concept simple (un marching band se réapproprie des tubes techno), ces gars-là te retournent une Petite Maison dans la Prairie déjà suante et assoiffée. Grosse opération séduction donc à base de Laurent Garnier, Âme ou Gonçalo ainsi qu’une reprise de Adèle pupute en diable et parfaitement lâchée en bout de course. A observer les regards croisés de ses membres, la Meute semblait visiblement abasourdie par l’amour rendu. Bien fait pour eux.
Ce moment où tu te dis que tu as toujours besoin de Jonwayne dans ta vie
Sur papier, la perspective d’aller voir Jonwayne dans une Boombox pouvant accueillir 8.000 festivaliers ne nous enchantait qu’à moitié. Principalement parce qu’après avoir vu l’Américain au Vooruit cette année, on se disait que son show minimaliste (lui, sa MPC, sa tasse de thé) et son flow DOOM-esque (donc un peu monocorde) allaient se diluer dans l'immensité d'une chapiteau impersonnel. Mais il ne faut jamais oublier qu’un bon artiste livrant un bon concert peut se mettre dans la poche même le plus hostile des publics. Et comme le festivalier lambda de Dour n’a rien de l’imbuvable peigne-cul parisien en canotier qui traîne sa suffisance dans les travées de Roland Garros, il a vite compris la démarche de Jonwayne : inutile de gueuler comme des putois ou d’être dans le turn up de l'espace. Non, il faut simplement se laisse happer par la classe naturelle de l'Américain, et boire ses paroles jusqu’à finir par entrer dans l’esprit complexe d’un artiste terriblement sincère et attachant, et qui ramène le hip hop sur un terrain sur lequel il ne joue plus trop: celui de l’humanité. Merci gros.
Ce moment où tu comprends que Nas est une madeleine de Proust dont la date de péremption est dépassée
La dernière fois que l'on a vu Nas à Dour, il soufflait les 20 bougies d'Illmatic, de loin un des meilleurs album du rap pour à peu près 98,6 % de gens qui en écoutent. Ce jour-là, nous avions eu droit à un Nasty Nas en forme, à des visuels évoquant le Queens des années 90 façon The Wire, pour un concert qui avait des airs de savoureuse madeleine de Proust. Quatre ans plus tard, il est clair que la madeleine a dû rester trop longtemps sur la table, comme ces Chipitos que servait ta grand-mère à l'apéro. Car derrière un show tellement millimétré qu'il est quasi impossible de se louper, l’Américain semblait pas mal à côté de ses Nike, traînant une sorte de spleen qui vidait de leur groove "Represent", "The World is Yours" et tous les autres classiques de son back catalogue. Si on a bien failli couler une larme lorsque le DJ a passé "Shook Ones Pt II" et qu'on a vu apparaître la tronche de Prodigy sur l'écran géant, on a ressenti une immense gênance lors de l'hommage assez WTF à Michael Jackson, ou lorsqu'on nous a servi un visuel de Bob Marley tout droit sorti d'un mauvais t-shirt du Dub Corner. Au final, on a toujours un petit pincement au coeur en voyant nos idoles finir comme ça, un peu comme cette ancienne gloire du football évoluant en D2 roumaine pour "relever de nouveaux défis". A la fin du show, on avait surtout envie de dire à l'ami Nas de raccrocher le mic au lieu d'écorner lentement mais sûrement son statut de légende du rap US.
Ce moment où deux Anglais ont attaqué le terril de front
La soirée de dimanche est déjà bien entamée et une grosse partie de la foule est déjà partie se positionner pour PNL lorsque Jason et Andrew s’emparent de la Caverne. Post-punk, spoken word, fucking whatever. Sleaford Mods, c’est d’abord une attitude de conquérants. Enfin, surtout Jason parce que Andrew, il a déjà fait son taf en amont et il est principalement là pour lancer la bande entre deux gorgées de Jupiler. Et c’est juste parfait. A l’heure où d’autres têtes d’affiche se réfugieraient derrière une mise en scène de kermesse (coucou Justice), les Sleaford Mods n’offrent rien d’autre que de la tripe sur le plancher, des postillons au visage et de la hargne par parpaings entiers. Il n’en fallait pas plus pour galvaniser un public prêt à tendre l’autre joue pour accueillir la claque suivante.
Ce moment où on a eu une petite pensée pour les PMR et les vessies féminines
Il est toujours temps de le répéter : quatre jours à Dour, physiquement, ça se rapproche plus d’un entraînement astronautique du côté de Baïkonour que d’un séjour de thalasso dans le bassin d’Arcachon. Et maintenant, ajoutez-y une jambe dans le plâtre - celle de notre bien-aimé patron.
Tout d’abord, il nous faut saluer bien bas l’abnégation de l’équipe PMR qui s’est démenée chaque jour pour adoucir ce chemin de croix, à commencer par ce bénévole en titane qui a remorqué la chaise roulante du boss depuis le parking (désormais situé à Mons, enfin c'est l'impression qu'on avait) jusqu’au lieu de villégiature. Bienvenue à Cagnard-en-Hainaut.
Sur le site, tout n'est pas rose non plus, puisqu'il faut affronter la réalité du terrain en mode Call of Duty, une main pour les béquilles, une autre pour parer l’ennemi qui ne s’annonce jamais : les imbibés à la trajectoire aléatoire ou les imbibés recroquevillés dans le noir, les pentes qui s’effritent ou les crevasses qui cailloutent. Pour cette part-là, la préparation mentale effectuée antérieurement est parvenue à venir à bout de tous les obstacles.
Côté camping, on s’est dit que même les gros parvenus qui ont succombé au confort des Flexotels (et nous en faisons partie) auraient accepté de bon cœur que les logements PMR soient plus proches du site que le Village - au passage la vraie belle trouvaille de cette édition 2017. Dans certaines situations, chaque mètre compte.
Au rayon des désagréments (et soulignons-le, de bien moindre importance), les porteuses de vagin se sont retrouvées fort dépourvues lorsque la pisse fut venue. Aux alentours de Last Arena et de la Jupiler Boombox, c’était systématiquement la panique au moment où le litre de bière commençait à frapper au carreau. Encerclées par les pissotières, les dames se voyaient contraintes à parcourir des distances olympiques pour obtenir leur libération. En gravitant un instant aux abords de l’atroce stand Jack Daniel’s et de sa musique pour tuberculeux, on s’est surpris à le voir remplacer dans un geyser de paillettes par un alignement de Cathy Cabines bien plus utile à l’intérêt général.
Ce moment où Phoenix a mis le point sur son i
Que ce soit sur la Main Stage de Coachella ou en échauffement dans la petite salle du Trix, les Versaillais ont prouvé à chaque fois que leur apparence de comptables effarouchés dissimulait une véritable machine de guerre en live. Encore en phase d’acclimatation avec leur petit dernier Ti Amo, nous étions curieux de voir ce que nous réservait leur retour officiel. On peut désormais l’affirmer, la prochaine tournée de Phoenix va avoir sacrément de la gueule. En commençant par ce gigantesque miroir incliné qui reflète à la fois le groupe et des jeux de lumière s’animant au fil des ambiances. Un décor à leur image, sobre et sophistiqué. Malgré le vent et la bruine qui se lèvent, Phoenix abat ses cartes une à une, assouvit les attentes avec les cartons déjà connus (« Lisztomania », « If I Ever Feel Better ») et convainc avec les nouveaux venus (« J-Boy », « Fior Di Latte »). La bonne pioche de l’été.
Ce moment où la Red Bull Elektropedia Balzaal a suscité chez nous autant d'admiration que de doutes
On va pas vous mentir: on a passé très peu de temps sur la Red Bull Elektropedia Balzaal cette année - la programmation y est certainement pour quelque chose. On doit aussi reconnaître que la démesure totale du bordel nous a encore foutu une claque et a confirmé le statut de "festival dans le festival" et de "Tomorrowland indie" qu'on a depuis le début prêté à cette scène, qui est grosso modo née le jour où les 10 Days Off gantois ont passé l'arme à gauche. Cette année encore, la Balzaal a drainé en continu une foule compacte et pas toujours intéressée par les noms qui s'y produisaient, mais certainement prête à se faire exploser les rétines et triturer les intestins par de lourdes infrabasses. Une débauche de moyens qui se justifie par le pouvoir d'attraction dont bénéficie aujourd'hui la scène, mais qui fait un peu mal au coeur quand on voit le peu de moyens réservés aux autres scènes destinées à accueillir des artistes électroniques une fois la nuit tombée. Ainsi, d'excellentes prestations (on pense à Karenn, The Black Madonna ou Hunee) auraient mérité d'être vues dans de meilleures conditions - on ne demande pas de se retrouver dans une copie carbone du Space d'Ibiza non plus, mais si on pouvait retrouver ne serait-ce qu'un peu de l'ambiance club véhiculée par la musique, la valeur ajoutée serait énorme. Par ailleurs, vu la fidélité aveugle du public à cette scène, on se dit qu’il serait tellement aisé de glisser quelques noms plus aventureux (à part Surgeon programmé juste derrière... Kölsch, c'était quand même fort convenu) afin d'éviter ainsi les tunnels drum ou techno. Après, le succès rencontré une fois encore par la scène Red Bull Elektropedia, et les moyens démentiels qui y sont consacrés nous font penser que ce petit texte a tout du voeu pieu.
Ce moment où Kalash Criminel a tué le père
En débarquant à la Jupiler Boombox, nous ne nous attendions clairement pas à voir une foule aussi dense et aussi surexcitée à l'idée de beugler pour Kalash Criminel et Kaaris. On était d'autant plus surpris que le fan de Kaaris nous semblait être une espèce en voie d'extinction depuis que le rappeur du 93 avait troqué la puissance brute d'Or Noir contre des ambiances de bar à chicha - un constat bien incarné par le vide sidéral de "Tchoin".
Si certains étaient seulement venus voir Zongo le Dozo défendre son dernier album, ils ont dû attendre la fin de la première partie du show qui a plutôt ressemblé à un meurtre en direct. Nom de l'assaillant : Kalash Criminel. Nom de la victime : Kaaris. Un drive-by d'environ une demi-heure, où le rappeur albinos cagoulé le plus célèbre de l’Hexagone a tout simplement livré le live de rap le plus zoulou de Dour. Une tension et une sauvagerie qui n'ont fait que monter en puissance avant d'atteindre un point de non-retour sur « 93 Empire » - banger total présent sur le précédent album d'une autre bête de foire qu'on adore, Sofiane.
Une folie qui retombera peu à peu lors de la prise en main de Kaaris, avec un live salement poussif malgré une fan base bien présente pour faire le "double fuck" et hurler les "2-7 2-7" de rigueur qui ont faire la gloire d'Okou Gnakouri. Une inversion totale des rôles où Kaaris fût le rookie et Kalash Crimi le vrai dos argenté du trap game.
Ce moment où tu te dis que t'as vraiment bouffé de la merde pendant 5 jours
On savait avant même de récupérer notre bracelet qu’on n'était pas venus pour se taper des brunchs de hipster ou se préparer des petits espuma d’artichaut avec le réchaud emmené en loucedé dans le camping. Après, ces dernières années, à peu près tous les festivals dignes de ce nom ont compris que le festivalier lambda a envie de manger un peu correctement quand il sait qu’il va soumettre son organisme à des atrocités dignes d'un génocide rwandais pendant cinq jours. À ce petit jeu, le Dour Festival, bien décidé à jouer dans la cour des grands, devrait peut-être s’inspirer de ce que fait un Pukkelpop, avec son Food Wood et son joli peloton de foodtrucks proposant des trucs succulents à des prix qui sont loin d’être prohibitifs. Entendons-nous bien, il n’est absolument pas question de faire disparaître ces stands vendant pour une petite dizaine d’euros un truc constitué à 98% de pain et de graisse, mais un peu de diversité et (surtout) de qualité ferait de bien à des tubes digestifs qui mettent quand même une petite semaine à se retaper.
Ce moment où tu t'es dit que Zwangere Guy est vraiment l’un des éléments les plus prometteurs du rap belge
On ne sait pas où Zwangere Guy veut emmener son Zwangerschapsverlof vol. 3, mais à sa sortie, on l’a pris comme un chouette petit side project en hommage à tous ces disques de rap qui ont fait son écolage, comme une respiration en attendant le nouvel album de Stikstof qu’on nous annonce pour 2018. Pourtant, les mois passent et le projet solo de Gorik van Oudheusden prend en ampleur et en assurance. En avril au Vooruit, on avait eu droit à un show sympathique mais un brin malhabile de la part du MC bruxellois. Quelques mois et beaucoup de dates plus tard, il va falloir penser à revoir notre jugement. Toujours bien entouré de ses potes (on pense aux bawlers laekenois du 77), Zwangere Guy a franchi quelques paliers, occupe la scène avec aisance et fait le show avec l’assurance des artistes qui ont une totale confiance en la qualité de leur travail. Bien que programmé à 14 heures le dimanche (l’équivalent festivalier d’un chasse et pêche sur TF1 à 4h du mat’), Zwangere Guy a convaincu celles et ceux qui avaient jugé utile de faire le déplacement avec un concert au cours duquel on a eu le privilège d’entendre un nouveau titre de Stikstof, et de se dire qu’en groupe ou en solo, des types comme Zwangere Guy sont en train d'écrire le prochain chapitre du rap belge.
Ce moment où tu n'as pas regretté d’avoir levé ton cul « de bon matin » pour aller le poser à la Caverne
Quatre jours à ce niveau de festoiement, cela implique inévitablement des réveils douloureux suivis d’une douche froide et d’un petit-déjeuner frugal. Ensuite, c’est déjà l’heure de l’apéro. Une fois ces épreuves relevées, la meilleure idée que nous ayons eue fut de se traîner vers la Caverne, ultime sanctuaire pour les guitares récalcitrantes.
Vendredi, c’est l’occasion d’un premier contact avec Moonlandingz, collision flamboyante entre le groupe Interplanetary Class Classics et cette tête d’enclume de Lias Saoudi, échappé de la Fat White Family et engoncé dans sa plus belle robe de cocktail. Ce freak show sans frontière et biberonné à l’éther nous a servi une performance des plus bandantes qu’il nous tarde de récupérer en salle.
Samedi, on retrouve nos black métalleux encapuchonnés de Oathbreaker qui persistent à défendre leur impeccable album Rheia. La voix de Caro Thanghe subjugue une fois de plus, se frottant avec ardeur à l’apathie de ce début d’après-midi. A croire que le groupe est incapable de décevoir une fois leurs silhouettes posées sur scène.
Dimanche, c’est au tour des cracras de Meatbodies de signer leurs méfaits stoner-psyché-garage. Frontaux et frénétiques, les petits cousins de Ty Segall écartent l’originalité au profit de l’efficacité et ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Les morceaux sont affûtés, exécutés au poil et alignés de façon suffisamment intelligente que pour maintenir la pression jusqu’à la dernière minute.
On regarde notre montre et c’est à nouveau l’heure de l’apéro.
Ce moment où on s'est quand même dit que le festival gagnerait à redevenir un peu plus Dour et un peu moins Dourrreuh
Pas de doute, Dour c’est l’Amour, une flopée de bons concerts, des gueules de bois bien méritées, de belles tranches de camaraderie et une armée de gugusses sans limite pour nous faire rire. Le festivalier lambda vous dira certainement que Dour se veut être bien plus qu’un festival, que c’est une « expérience ». Un modèle fondé sur un espace de liberté totale qui attire toujours plus le blanc-becs cherchant à s’éloigner du stress des parcours scolaires incertains ou des « bien cordialement » ponctuant chaque fin de mail. Cinq jours à faire le plein en se vidant la tête et vice versa.
Pourtant, à y regarder de plus près, ce qui attire le chaland à Dour va peut-être également freiner son expansion vers les sommets. En un mot comme en cent, Dour gagnerait à redevenir plus Dour que Dourrreuh. Car ce positionnement « Dourrreuh » devient périlleux lorsqu’il signe le passage au second plan de la musique et de la programmation face à l'expérience susmentionnée.
Au fond chacun est libre de vivre son festival comme il l’entend mais la mentalité «jesuisàDourjefaiskeskejeveux» risque à terme de faire fuir les éléments les moins hardcore venus passer du bon temps sur la Plaine de la Machine à Feu. Deux solutions s’offrent au festival hennuyer pour ne pas devenir un rassemblement de sheitan: soit un resserrage de vis, soit une plus grande organisation au sein du festival.
Ce resserrage de vis, au fond personne n’en veut et surtout pas nous, le flicage au quotidien étant assez présent pour le faire entrer davantage dans ce festival. Cette solution nous apparaît encore plus illusoire que la société de sécurité et la police ont largement fait leur apparition sur le site. Pas besoin de creuser ce sillon sarkoziste de bas étage donc. Difficile de croire également que des messages seulement préventifs puissent permettre de faire machine arrière, d’autant plus que le slogan Dourreuh est désormais un élément de la stratégie marketing qui a prouvé toute son utilité.
Deuxième solution donc, celle d’un recalibrage sur l’organisation et les installations pour que tout ce petit monde puisse vivre en bonne intelligence. Ce chantier pourrait démarrer par le camping qui accueille la majorité des festivaliers. Un camping qui ressemble rapidement à un décor de Mad Max entre la queue interminable pour la douche (payante), les toilettes dans un état déplorable, les points d’eau trop peu nombreux et les habituels détritus qui jonchent le parcours. Dans ce contexte, on ne peut que saluer l’apparition du Green Camping qui gagnerait à devenir la norme plutôt que l’exception. Même agréable constat pour The Village et sa zone détente qui tranche avec la sauvagerie du camping, faisant de ce lieu une sorte de colonie israélienne au milieu de la bande de Gaza. Bref, on gagnerait à ce que le camping 'traditionnel' se réduise pour devenir une sorte de Pairi Daiza pour parquer les zoulous cherchant de la kétamine à 7h30 du matin "parce qu'on est pas venu à Dour pour dormiiiiiiiir".
Concernant le site en lui même, hormis les bouchons pour rentrer dans les scènes passé minuit, l’ensemble restait largement vivable pour un festival qui a cassé la jauge des 242.000 festivaliers en 5 jours - big up à eux. Néanmoins, une telle foule peut devenir salement épuisante. Plusieurs solutions s’offrent alors au public: le gros cul sur la poussière, l'espace bières spéciales (mais on sait tous que c'est le plus gros guêt-à-pintes du site), les quelques tables devant Labo ou le Bar du Petit Bois. Ce dernier lieu a été un véritable oasis de tranquillité ainsi que le théâtre de la plus grande gogolerie de ce festival, la Boudin Room. Un concept développé d’une main de maître par notre rédac' chef adjoint où la charcuterie a rencontré la musique électronique. 4 heures de groove et de boyaux, une sélection parfaitement assaisonnée de la paire de BFF DC Salas / Surfing Leons et un public chauffé à boudin blanc (vous l’avez?).
Ce moment où on se dit qu'il est temps de conclure
L’an prochain, le Dour Festival soufflera ses trente bougies. Une longévité qui s’explique aisément par la qualité des affiches, le bon esprit, la fidélité du public « dourien » et la flopée de bénévoles dévoués pour huiler la machine. Des atouts indéniables sur lequel Dour devra continuer à bâtir son succès tout en répondant aux impératifs imposés par l’ère du temps - si vous nous avez lu jusqu'au bout, vous voyez où on veut en venir. Dour est désormais trop gros pour simplement se fier à l’avalanche de noms proposés pour assurer sa pérennité, et son succès futur doit opérer une mue sur quelques points qui nous semblent essentiels. Une mue déjà engagée (le Green Camping et The Village en sont les meilleurs exemples) mais qui devra aller crescendo à la vue d’une concurrence qui n’est plus belgo-belge mais bien européenne, voir mondiale. Au fond, on espère que nos petites réflexions de scribouillards bien calés dans leurs canapés iront dans ce sens tant on espère encore venir se vider la tête sur la Plaine de la Machine à feu pendant de nombreuses années.