Danny Brown
La Bellevilloise, le 19 juin 2013
Il est amusant de constater comme, depuis quelques années, le public rap à tendance à se blanchir. Un choc des cultures dont on tient sans mal l'écurie d'A-Trak responsable: en permettant une explosion médiatique à des mecs aussi brûlants qu'Action Bronson ou Danny Brown, Fool's Gold a pu toucher un public qui préférait les bêtises de MSTRKRFT aux perles de J Dilla. Et la première date parisienne du MC à tête de clochard témoigne parfaitement de ce bouleversement des modes: ce soir, on aura croisé autant de hipsters que de puristes, tous à s'envoyer des coudes en pleine gueule an son des meilleurs anthems du natif de Détroit. Mais attention, toujours dans la paix des peuples.
Faisons abstraction du piteux warm-up qui s'est terminé sur un enchaînement du "Molotov 4" de Sefyu et du "Boulbi" de Booba. La tension est vraiment montée d'un cran lorsque le bras droit du MC, Skywlkr, s'est lancé dans un mini-DJ set dopé à la trap sauvageonne précédant l'arrivée de l'intéressé au son du nucléaire "Jealousy". "Hello Paris ! I'm high as fuck !" nous confiera-t-il entre deux titres avant de rétorquer, hilare, que la moitié de la salle semblait l'être encore plus. Et si effectivement la Bellevilloise empestait le chichon ce soir, l'état de défonce avancé du MC paraîtra quant à lui strictement imperceptible : il kicke sans chier une mesure, joue en permanence avec son public et affiche un sourire de plus en plus communicatif à mesure que le set avance. Un constat dont le Wu-Tang Clan, et plus particulièrement son GZA, n'ont pas eu la chance de profiter lors de son dernier passage par la capitale le mois dernier, démontrant à la perfection comme vieillesse, drogue et rap font mauvais ménage un micro à la main.
Mais ce soir, chez le trentenaire de Détroit, c'est un tout autre son de cloche : la drogue s'accroche au MC telle une paire d'ailes lui permettant de livrer une setlist énorme où se mêlent morceaux de XXX, featurings - dont son énorme couplet sur le "Terrorist Threats" d'Ab-Soul - ainsi qu'inédits tirés de sa prochaine bombe sale Old. Le parfait soutien de son DJ fera qu'à aucun instant l'excitation ne retombera, si bien que lorsque le MC boucle son set sans le moindre rappel, on est un peu forcés d'admettre que la pilule a été un peu dure à avaler. Mais de toute évidence, après autant d'énergie déployée, de sueur évacuée et de bière cuvée en seulement une heure quinze de son, notre corps ne réclamait plus qu'une seule chose : le confort d'un matelas qu'on ne tardera pas à lui fournir.
On a beaucoup de mal aujourd'hui encore à se remettre de la décharge électrique que le trentenaire a livré à une fosse Parisienne en furie à laquelle même Ninja de Die Antwoord s'est invité. Une chose reste sûre toutefois : après une bonne demie-douzaine de mixtapes passées à cristalliser l'héritage hip-hop de Détroit, Danny Brown a beaucoup gagné à mettre de l'eau dans son vin. Il se pose aujourd'hui même comme un véritable OVNI rap prêt à donner des lettres de noblesse à une trap music encore considérée comme un effet de mode.