Damso
Forest National, le 20 octobre 2017
Pas plus tard que la semaine dernière, on se faisait une jolie petite frayeur en allant voir Future au Zénith de Paris. En effet, on y allait avec les roubignoles qui dansaient la Macarena vu la propension des stars américaines du rap à enchaîner les titres façon "couplet / refrain / au suivant" et à sa la jouer en mode "showcase deluxe" alors qu'on a dépensé suffisamment d'argent pour que ça justifie une vraie scénographie et non qu'on investisse dans le Jéroboam de Cristal rosé que la star de la soirée s'offrira en boîte quelques heures plus tard. Si la surprise avait été plutôt bonne, elle dénotait surtout d'une certaine fatalité face à des concerts de rap de moins en moins bons.
Vendredi dernier à Bruxelles, Damso s'est senti investi d'une mission: faire taire tous nos préjugés au sujet des concerts de rap en 2017 d'abord, mais surtout réussir "son" Forest National, date forcément importante et symbolique pour le protégé de Booba. Et après la démonstration qu'il nous a livrée pendant 90 minutes, on peut arrêter de parler en terme de filiation avec Saddam Haut-De-Seine tant Damso vole désormais de ses propres ailes, et assume pleinement le personnage mi-thug mi-lover qu'il a cimenté sur deux albums qu'on a bien digérés et qu'il nous est aujourd'hui bien difficile d'attaquer.
Si, de l'avis général, les quelques dates de cet été avaient été bonnes, on comprend aujourd'hui qu'elles ne servaient que de mise en jambes et de rampe de lancement pour cette tournée en salles, véritable point d'orgue pour un artiste qui, comme à peu près tous ses camarades de jeu, se doit de faire vivre son disque en salle et en club pour vraiment asseoir son autorité sur le game. Et à ce petit jeu-là, Damso pèse désormais très lourd, ne serait-ce que par sa capacité à fédérer un très large public autour de son art. En effet, ce vendredi à Forest National, on a croisé de tout: des apprentis bad boy, des hipsters en Carhartt, des rebeus babylissés, des blanc-becs des beaux quartiers, et des jeunes pères bientôt quarantenaires qui n'avaient pas trop de problème à inviter les schneks à aller faire de la mula sur "Débrouillard", l'un des très nombreux moments de communion entre le colosse de Kinshasa et son public.
Mais si Débrouillard, "Θ. Macarena" ou le freestyle OLKM font office de usual suspects au moment de choisir les titres que le spectateur lambda attend le plus, une fois en salle on réalise que la frontière entre tubes incontestables, titres forts et moments de remplissage est fine, voire inexistante. C'est bien simple: en 90 minutes de concert, jamais on n'a regardé notre montre, porté par un Damso impérial mais reconnaissant face à cette déferlante d'affection, capable d'occuper l'espace sans une armada de hype men ou sans avoir recours à des effets de manche qui cachent péniblement la vacuité de certains répertoires. Non, la victoire de Damso, c'est de faire triompher un rap porté par une vraie science du hook, infusé d'un amour pour une certaine pop mainstream, et toujours très respectueux dans la manière de valoriser ses racines africaines. Mais surtout, de remporter les suffrages auprès d'un public mainstream avec un rap dur en façade mais incroyablement sensible en son cœur. Et commencer son concert par "Exutoire" et Kietu" plutôt que de balancer du banger en est la plus éclatante démonstration.
Si la fanbase de Damso ne s'y est pas trompée en lui permettant d'écouler des Ipséité par camions entiers, elle peut enfin prendre la pleine mesure de l'œuvre et de la stature du Bruxellois au travers d'un live d'une précision et d'une efficacité diaboliques, qui en dit beaucoup sur sa capacité à voir la concurrence en tout petit, parce qu'il la regarde du hublot. Wesh manneke.