Couleur Café 2018
Square de l'Atomium, Bruxelles, le 29 juin 2018
Couleur Café, c’est un peu l’un de nos premiers amours: de belles affiches séduisantes, avec des noms totalement inconnus ou que l’on connaît justement sur le bout des doigts. Grosses découvertes et grosses réalisations de fantasmes à la clef, donc, dans une ambiance alternative et ethnique qui fait beaucoup de bien. Néanmoins, ce mélange parfois surfait, ainsi que les gros ratés de nombreuses têtes d’affiches en réalité trop vieilles pour se lancer encore dans le périple des concerts, nous ont progressivement détournés de ce festival tant aimé. Le changement de site vers l’Atomium s’est alors présenté comme le meilleur prétexte pour retenter l’expérience qui, on vous le dit déjà, s’est clôturée par un franc succès. Débrief en quelques points.
Le parc de l’Atomium : un nouveau site qui porte ses boules
On n’avait pas encore eu l’occasion de découvrir le nouveau site du Couleur Café qui, on le rappelle, s’est déplacé l’année dernière de Tour & Taxis vers le parc jouxtant les pieds de l’Atomium. Si l’organisation pouvait évidemment craindre quelques retombées négatives, comme le dépaysement ou l’impossibilité d’accueillir davantage de festivaliers, on peut aujourd’hui affirmer qu’il s’agit d’un remplacement aussi payant qu’une montée de Nacer Chadli face au Japon.
Avec ses multiples zones boisées, le Couleur Café se moque des canicules qui te refilent un mélanome en moins de temps qu'il n'en faut à Neymar pour s'effondrer. La variété du paysage amène un autre avantage: on n’a plus l’impression de se taper 5 bornes entres les différentes scènes, les WC et la route des saveurs. Les changements de paysages participent dès lors activement à la bonne humeur des festivalier. On félicite au passage les organisateurs dont l’inventivité a permis d’offrir une multitude de zones « détente », esthétiques et efficaces, allant des petites scènes DJ aux hamacs à tout-va.
Dans cette jungle de bâtiments, on retiendra surtout l’offre assez vaste de bars sponsorisés certes, mais qui n’avaient rien de l’agressivité publicitaire que l’on rencontre à l’approche d’un stand Coca-Cola ou Bacardi dans les gros festivals, et qui, d’autre part, permettent véritablement de ventiler les bars "traditionnels" jamais encombrés par les files interminables.
Enfin, la conception des trois scènes faisait très justement sens en liant avec beaucoup de pertinence la forme au fond: les différentes topographies rejoignaient ainsi l’offre scénique, contrairement aux chapiteaux des éditions précédentes dont la structure ne se différenciait véritablement de la grande scène que par sa taille. La scène verte a par conséquent proposé un théâtre de verdure accentuant la communion avec des artistes reconnus, mais plus intimistes que ceux de la scène rouge qui avait quant à elle une grande plaine pour lutter avec les élans des grands noms. Du côté de la scène bleue, celle des découvertes, la poignée de bars sur sa petite zone inclinée proche de l’axe principal a fait que les boules d’énergie concentrée qui s’y adonnaient n’ont jamais rencontré de vide : une masse minimum de spectateurs actifs s’y trouvait en permanence.
Quand il s’agit cependant de se rendre sur le site, l’affaire n’est plus pareille. Si l’on s’est réjouis de voir une offre de parking pour vélo plus que sérieuse, une partie de la rédaction a carrément galéré pour atteindre en voiture une zone de stationnement: infos contradictoires, parking C fermé, et mésentente des stewards nous ont fait louper quelques concerts - à commencer par celui de Mahalia.
Une affiche dont les vainqueurs ne sont peut-être pas ceux que l’on croit
D’abord, le tant attendu Damso a rassemblé une grande foule, éclectique, davantage composée par des papas tranquilles et des adolescentes de bonne famille, noyés dans leurs désirs de rébellion – un vrai public de pop star. Et le concert de l’artiste ne s’est pas déroulé autrement. Notre bon William s’est contenté de cachetonner avec une distance fort mélancolique et tout simplement triste. Est-ce l’instant qui le tiraillait ou le visage de ce public particulier ? Parce que forcément, jouer au Couleur Café, aux Ardentes ou au Bloody Louis, ça change un homme. C’est bien normal. On s’est alors vite rabattu vers la performance des Togo All Stars sur lesquels on avait bien fait de parier. Les mecs ont craché le feu comme des illuminés, pour se barrer 30 minutes avant la fin de la tranche horaire dont ils pouvaient bénéficier. Donc, des mecs brillants débarquent comme une bombe, et se cassent sans même connaître les limites de leur performance. Choqués.
Mais notre étonnement ne s’est pas arrêté là. L’éternel vainqueur du festival s’est incarné au travers de toutes les scènes dub – qu’il s’agisse de la« dub forest » ou de performances d’artistes comme Panda Dub. Le bousin débordait de gamins anesthésiés, bras ballants, aux pavillons proches des acouphènes. En bon hipsters bornés, on a passé tout un moment à essayer de comprendre la plus value de tout cela. On cherche encore, se demandant d’ailleurs comment le turn up magique de Makala, Di-Meh et Slimka a eu des difficultés à leur faire concurrence le premier soir.
Deux jours plus tard, Coely s’attaquait à la même scène que Damso, sur une plage horaire bien plus anticipée. À 17 heures, la rappeuse anversoise doublait la plaine de la grande foule que son homologue bruxellois avait rameutée. Sa performance était elle aussi démultipliée au regard de la précédente, avec une intensité rayonnante. La Dame a pris les rennes. Ce public lui convenait-elle mieux ? Dans tous les cas, elle a effectué le boulot avec force, élégance et manière, celle des grands.
Comme d’autres: un Gregory Porter toujours aussi talentueux, qui parvient à remplir la scène verte en début de soirée, suivi d’un Leon Bridges éclatant. Seul un quart du public s’était déplacé en ayant déjà fait la connaissance du jeune texan sur disque. L’ensemble a pourtant été ébloui par un set dont la perfection ne pouvait se laisser deviner. Quelques minutes plus tard, George Clinton allait pour sa part proposer une soirée sans rature – chose inconcevable.
Un festival qui vient de trouver l’équilibre parfait
Face à certains artistes justement plus jazzy ou relativement proche de la world music, on pouvait redouter un ennui d’une certaine frange du public – les moins bouddhistes dirons nous. C’était sans compter la justesse de l’affiche qui partageait souvent le parc entre musique confidentielle et grand public – allant notamment de la world music au rap brut (beaucoup plus présent) avec un léger détour par la pop, toujours colorée d’une teinte raffinée.
Cet équilibre n’a pas seulement offert un roulement dans la sélection des genres – si l’on n’aime pas le sucré, on prend du salé. Non. Il a carrément dynamisé les humeurs et les moments du site, entre trois scènes. On était loin de cette impression, vieille comme les villages, des soirées « deux salles, deux ambiances » dans lesquelles les uns et les autres ne communiquent finalement jamais, si ce n’est à coups de phalanges sur la tronche. L’intelligence du programme ne s’est donc pas contentée de satisfaire ses différents publics, il a permis de ventiler le site dans un réseau de marcheurs ininterrompu. Exit les grands exodes bien emmerdants d’une scène à l’autre – d’une route des saveurs au WC les plus proches.
Même pas. La « rue du bien manger » que l’on retrouve sur ce festival devrait inspirer tous les autres. On le sait, l’un des points forts du Couleur Café a toujours résidé dans les victuailles qu’il propose, et cela se confirme encore : comment un pâle hamburger à 8€ provenant d’un foodtruck immonde pourrait concurrencer ces énormes assiettes africaines dans lesquelles le moindre grain de riz se voit charger des plus fins délices de la planète ? On ne blague pas. Surtout que cette « rue » a été conçue comme une zone de partage et non de passage. Lorsqu’on y prend de quoi manger, on y trouve un endroit où se poser, ou échanger avec ses compagnons. Le culte de la nourriture et du moment qui la concerne y est respecté, et déteint sur toute l’expérience du festival.
S’il ne fallait s’en tenir qu’à un seul argument
Outre cette série de points positifs, on pourrait enfin réduire les qualités du Couleur Café à ce seul constat : le festival parvient encore à rendre crédible des concerts apriori chiants – l’un de ses meilleurs atouts est précisément celui de vous offrir toutes les conditions nécessaires à la bonne appréhension d’une œuvre nouvelle. Pour découvrir, il faut être prêt. Et en nous facilitant le travail, par toutes ces voies, le Couleur Café nous dirige directement vers la bonne digestion de n’importe quelle musique : but ultime auquel tout festival encore digne devrait prétendre.
crédits photos: Vanessa Rasschaert // Benjamin Strulens // Leen Van Laethem // Sergine Laloux