CORE Festival 2023
Parc d'Osseghem, le 28 mai 2023
L’année dernière, on a pu entendre certains ronchonner à l’idée de voir arriver les gros sabots de Rock Werchter et Tomorrowland sur le grand échiquier saturé des festivals belges et dans un décor considéré comme le terrain de chasse du Couleur Café nouvelle mouture. Et c'est vrai qu'ici, l'émergence ex nihilo du CORE Festival faisait furieusement penser à une manœuvre digne d'un richissime état du Moyen-Orient s'offrant un club de foot comme on offre une glace à son gamin : la manne financière dans laquelle les organisateurs peuvent puiser semble profonde et on a parfois l’impression qu’ils ne sont pas là pour faire jouer la concurrence mais pour l’étouffer. Mais cette année, c’est déjà oublié - l’affiche et l’organisation aidant bien à passer outre ces considérations. Débrief du week-end en 5 points.
Photos : Mathieu Lambin
Une orga carrée
Les échos qui nous étaient parvenus après la première édition soulignaient déjà la qualité de l'organisation et rien n’a changé en 2023 : l’accueil est irréprochable, le site est superbement agencé, les nombreux bars sont stratégiquement dispersés et le festivalier n’a pas l’impression d’être transformé en homme-sandwich dès qu’il passe les portes. Nous avons d’ailleurs eu du mal à repérer le stand Jupiler dissimulé entre deux buissons (on pose ici 10 points bonus rien que pour cet exploit). Sans compter les recoins au frais sous les feuillages et les déplacements sans encombre entre les différentes scènes. Le cadre fait définitivement la force de l’événement et confère une atmosphère des plus agréables durant nos pérégrinations de scène en scène.
Un porte-monnaie malmené
Ce petit luxe verdoyant a évidemment un prix. À 80 euros la journée et dans le contexte économique actuel, nous n’avons pas forcément croisé des masses de kids. Il paraît clair que le cœur de cible englobe plutôt la tranche 25-40 ans salariée qui ne regardera pas à 10 euros près quand il s’agira de se faire plaisir en fin de semaine. Et tant qu’on aborde l’état de nos bourses, même si on ne peut qu’approuver le système bracelet cashless qui nous évite de larguer par mégarde nos tickets boisson dans la lucarne d’une Cathy cabine, on notera une conversion prix/jeton absurde qui enfume savamment les comptes (60 euros pour 34,5 jetons ?) jusqu’au moment fatidique où des frais de 2,50 euros seront exigés pour récupérer notre misérable solde. Sneaky.
Une programmation qui se cherche
Pour être tout à fait honnête, l'affiche proposée nous a laissé perplexes, en particulier sur les grandes scènes. Avec son fourre-tout mêlant gros noms populaires et artistes de « niche », nous avons eu du mal à discerner le positionnement du festival qui donne l’impression de présenter une version light et urbaine du Pukkelpop, captant tout ce qui est vaguement hype afin de ratisser le plus large possible. Alignés à la même heure, le grand écart entre Benny the Butcher et Goldband relevait pratiquement de la performance olympique. D’un autre côté, cette absence évidente de parti-pris éviter de faire des choix douloureux. Chacun se dirige vers son territoire sans se soucier de devoir galoper aux quatre coins du site. Ce qui est certain, c’est qu’à l’instar du prix d’entrée, le line-up ne donnait pas l’impression de vouloir séduire un public particulièrement jeune, hormis peut-être les apparitions de JJ & Caba ou de l’incontournable Angèle qui s’est offert le plaisir d’inviter Damso sur leur morceau commun.
Les performances qui ont mis tout le monde d’accord (ou pas)
On a assisté au meilleur : une belle ouverture en compagnie des Italiens Nu Genea suivis par les jeunes virtuoses Domi & JD Beck qui ont fait tout l’étalage de leur coolitude le samedi après-midi. On a pu voir le chauffeur de salle Channel Tres délivrer l’une des meilleures performances du week-end mais aussi les éternels Unknown Mortal Orchestra faire tente comble avec l’un des sets les plus plébiscités du dimanche. Les terrasseurs de dancefloor que sont Honey Dijon ou Joy Orbison ont également fait honneur à leur réputation tandis que certains se sont révélés bien plus brouillons à l’image de NxWorries (Anderson Paak + Knxwledge) peu convaincant avec un set miné par des problèmes de son et un volume excessif ou encore JPEGMafia, remuant et généreux mais peinant à apprivoiser son public avec un set chaotique - une habitude avec lui, malheureusement.
Mais au final, le CORE aura surtout couronné les deux reines de notre été : Charlotte Adigéry et Little Simz. Alors que la première ne cesse de distribuer du love et des beats en compagnie de son fidèle Bolis Pupul (également présent en solo le dimanche) depuis la sortie de Topical dancer au printemps 2022, la seconde sonne enfin le coup d’envoi de sa nouvelle tournée avec une assurance et une classe folles. Dans les deux cas, il sera bien difficile d’égaler leurs niveaux de charisme et de générosité.
Plus généralement, on applaudira aussi la place donnée aux artistes belges qui, même s’ils n’étaient pas forcément majoritaires (Rori, Coline Cornélis, Glints, Lefto, Alfred Anders, M I M I,...), n’hésitent plus à monter au créneau lorsque la situation le demande. Alors que le paysage festivalier peine encore à retrouver son souffle post-COVID et que l’absence prolongée des Américains se fait sentir, les compatriotes en profitent pour occuper l’espace et le font désormais sans regarder leurs pieds, imprimant une dynamique nouvelle pour un pays qui a plutôt tendance à ne pas vouloir faire trop de vagues.
Stop ou enCORE?
De tout évidence, le CORE manifeste une vraie volonté de s’implanter à Bruxelles, et peut compter sur le soutien de la maison Live Nation et des édiles locaux qui misent sur le développement du plateau du Heysel, quitte à se mettre pas mal de riverains à dos en autorisant des dérogations aux normes de bruit régionales - un petit cadeau dont le festival ne s’est pas privé de profiter en laissant ses deux scènes club à ciel ouvert inonder l’espace public de ses BPM à des kilomètres à la ronde.
Et si le communiqué de presse se veut logiquement triomphaliste (40.000 festivaliers sur deux jours), la faible affluence devant certaines scènes annexes ne mentait pas. S'il parvenait à prendre racine, le CORE serait bien capable faire oublier la lente débâcle du BSF et s'installer comme le festival citadin qui manquait à l'animation estivale bruxelloise, quitte à priver Les Nuits Bota ou le Dour Festival de têtes d’affiche internationales qui ne peuvent pas se démultiplier. Est-ce que le CORE est un "game changer" ou "just another festival" dans un petit pays qui en compte plus par mètre carré que de boutons sur le front d’un ado? On aimerait avoir la réponse à cette question, mais il faudra quelques éditions de plus pour le savoir.