Brad Mehldau
Nuits de Fourvière, Lyon, le 23 juin 2024
Bra(d)vo l’artiste
Quand les musicien·nes avancent en âge et en carrière, les discographies deviennent souvent moins intéressantes. C’est peut-être que les pics d’originalité ne peuvent naître que d’instabilité, ou qu’il existe une quantité limitée de ce qu’un même individu ou collectif peut inventer. Mais avec le temps, la technique s’installe et si on parvient à se concentrer dessus, alors quel plaisir.
Brad Mehldau est à l’aise en ce moment. Il travaille beaucoup en solo, travaille sur des bandes originales, varie les formats, et se fait confiance. Ses deux albums publiés en printemps, dans lesquels il joue, reprend, se laisse guider par le fil de l’agréable sur le chemin de Bach et Fauré, en sont le témoignage le plus évident.
Lui laisser champ libre, sans personne pour le contraindre, dans un concert de 70min à 90min, il faut le dire, c’était un magnifique spectacle. Quand s’arrêtera le morceau ? Personne ne le sait, pas même lui. À quel point va-t-il reprendre son travail en studio ? Personne ne lui en tiendra rigueur.
Dans le magnifique contexte des Nuits de Fourvière, perché sur la religieuse colline lyonnaise, il a accompagné le coucher du soleil en offrant son regard désormais bien connu sur le légendaire groupe anglais, The Beatles.
Et si ce n’est donc pas son travail le plus innovant et le plus expérimental, il n’en reste pas moins qu’il a rarement autant semblé honnête avec son public. Discret, sobre, sans un mot pour nous – mais pas sans attention – il a enchaîné une dizaine de morceaux, puis a cédé à nos requêtes pour enchaîner un, puis deux, puis quatre rappels. Si le cadre avait été plus autonome, certain·es d’entre nous y auraient probablement passé la nuit.
Collection de scarabées
En ne modifiant pas ce format du piano solo, les risques de redites avec un disque comme Your Mother Should Know : Brad Mehldau plays The Beatles sont importants. Mais ce n’est pas ce qu’il avait préparé, et on a eu droit à plusieurs titres qui n’étaient pas présents sur l’album. Ce fut le cas de « Mother Nature’s Son » et « Deer Prudence », repiqués sur Largo, un album en trio paru en 2002, ou de « And I Love Her », qu’il avait déjà beaucoup jouée et enregistrée en 2019 pour la bande originale du film d’Yvan Attal, Mon Chien Stupide.
Pour le reste, des versions assez différentes de celles présentées sur le disque, avec un très long et très ragtime « I Saw Her Standing There », et une interprétation absolument merveilleuse de « For No One », cette ballade déjà jouée au piano sur Revolver en 1966.
Le live de Brad Mehldau permet alors de relire le disque, lui-même enregistré en public, et qui n’apparaît plus que comme une des versions possibles de ses itérations dans la discographie des Beatles, et pas comme un travail figé à jamais.
Un cadre dispensable
Sur un point d’appréciation peut-être plus subjectif, on notera quelque chose d’un peu « tout ça pour ça » dans les Nuits de Fourvière. Sur une petite scène à taille humaine (il y en a une réservée pour les gros événements du mois de juin), la soirée de festival n’a pas su se départir d’une atmosphère guindée, et pas franchement agréable. Un accueil à l’entrée froid et pressant, une installation pas du tout libre sur un « placement libre », dans laquelle on se sent poussée par les équipes sans que personne comprenne vraiment pourquoi on se prend la tête à ne pas laisser les gens s’installer où ils et elles veulent, etc. Avec un prix pareil (45€), on ne peut pas dire que le festival puisse rivaliser avec Jazz à Vienne, pour prendre un cadre et une proposition similaire.
Quant au public, c’est peu de dire qu’il a été parfaitement là où on l’attend dans un événement de ce genre : d’un peu froid à carrément malpoli pour le bon cinquième qui est parti au moment où Mehldau s’est levé, sans l’applaudir et sans rester pour les quatre rappels donc. Et à l’inverse, quand les applaudissements duraient quelques secondes pendant qu’il reprenait, les gens se faisaient taire par des « chuts » d’un autre âge.
Ce ne sera peut-être une surprise pour personne, mais le public des festivals de jazz (exception faite souvent à Jazz à Vienne ceci dit) ne rajeunit pas et n’a pas prévu de s’encanailler pour l’instant. Rien qui n’empêche de profiter pleinement du concert, mais rien qui ne donne envie de revenir pour le festival indépendamment des artistes.