BOZAR Electronic Arts Festival
Bozar, Bruxelles, le 26 septembre 2014
(crédit photo: Caroline Lessire)
Le BEAF, un concept comme on aimerait en voir plus souvent
Alors qu’on ne parle que de nouvelles coupes claires dans les budgets de la culture, ce weekend on aura pu se féliciter du fait qu’il y a encore un peu d’argent public pour permettre l’organisation d’événements comme le BEAF – alors qu’on n’en trouvera toujours pour payer les cachets de couillons comme Calogero ou Bénabar, qui se produisaient à quelques centaines de mètres du Bozar, dans le cadre de la fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur une Grand Place qui avait bien mérité de se faire doucher. Alors c’est vrai, gagnant en popularité, l’événement à la programmation très pointue commence à drainer l’un ou l’autre boulet, mais globalement il reste un rendez-vous de gens vraiment curieux, globalement respectueux et sincèrement défenseurs d’une musique qui se veut intelligente, mais certainement pas (trop) intello. Trois jours durant, ce fut un vrai plaisir de déambuler dans les couloirs d’un Bozar toujours aussi beau, de se confronter à un personnel affable (ça change des bénévoles jeanfoutres de l’été) et de taper le bout de gras avec des gens biens sous tous rapports. Et plus que tout, on espère qu’un événement comme le BEAF encouragera certains acteurs de l’événementiel à se remettre en question, voire à favoriser l’émergence de nouvelles structures. (Jeff)
Nils Frahm intimiste
Le vendredi, c’est le projet Kiasmos qui avait la lourde tâche d’ouvrir les festivités dans la salle Henry Le Bœuf. Parqués derrière leurs platines et leur PC face à un parterre très docile, Ólafur Arnalds et Janus Rasmussen ont égrené leurs compositions en veillant à ce que leurs boucles hypnotiques prennent progressivement le pas sur des nappes minimalistes. Les moins convaincus se sont hâtés de rejoindre le bar, laissant les autres pénétrer petit à petit dans l’univers du duo ; la prestation touchait à sa fin au moment où le public, debout, se joignait enfin au seul spectateur sous plombs, qui s’est démené pendant une heure comme à une soirée hardcore. Mais, ce premier jour, c’est surtout le concert de Nils Frahm qui suscitait la curiosité, comme en témoignait le nombre de spectateurs massés jusque dans les allées de la salle. Bavardant volontiers avec l’audience, l’Allemand, vêtu d’un t-shirt à son effigie (conséquence, à l’en croire, d’un pari perdu), étrennait pour l’occasion le magnifique piano réalisé sur mesure par David Klavins. Baptisé “The Unachorda”, l’objet, complétant l’impressionnant appareillage que le musicien déploie sur scène, a pour singularité d’être construit à partir de deux pianos centenaires et de ne comporter qu’une corde par note. Nils Frahm y entame le superbe “Says” puis, fidèle à ses habitudes, passe d’un instrument à l’autre (pianos, synthétiseur, Taurus) pour compléter l’architecture en cascade de ses morceaux. Sur “Said and Done”, il est rejoint par Ólafur Arnalds, bière en main, pour un élégant duo à quatre mains. Mais c’est peut-être la version kilométrique de “More”, en guise de conclusion, qui a le plus retenu l’attention, l’artiste ne semblant pas décidé à abandonner le public bruxellois et finissant par quitter la salle avec une demi-heure de retard sur l’horaire prévu. Une performance efficace et limpide, saluée à la fois par le respect de l’audience (sans la fille qui bouffait des chips à côté de nous et ponctuait la prestation de “il est quand même trop beau. Enfin, chais pas, je vois pas bien... Mais il a l’air”, on aurait quelquefois pu entendre une goutte d’eau toucher le sol) et par une très belle standing ovation, mais qui, pour les familiers de Nils Frahm, ne se distinguait pas tout à fait par son originalité. (Denis)
Mondkopf : promenons-nous dans les bois
« On sent [dans Hadès] toutes les potentialités qui s'offrent à Paul Régimbeau dans une configuration live » Cette phrase insignifiante glissée dans la chronique du dernier album de Mondkopf, on peut vous dire qu'on y a bien repensé quand on s'est fait percuter aussi violemment qu'un chaton qui fait connaissance avec la calandre d’une BMW lancée sur autoroute. Si les avis sur les performances du BEAF ont régulièrement divergé, tous les membres du crew GMD ont reconnu la maîtrise et la puissance du set du boss d'In Paradisum. Pour parler comme un journaliste de chez Télérama, on dira qu’on a assisté à une « expérience totale », magnifiée par un VJing aux accents végétaux dans une ambiance digne du Projet Blair Witch. Un visuel qui était en adéquation totale avec le déluge sonore à mi-chemin entre techno, doom et black metal. On ajoutera que l'arrivée de Greg Buffier – guitariste de Saåad – n'est pas étrangère à cette belle réussite puisqu'il ajoute du relief à l'ensemble. Bref, un live qui va permettre de perpétrer l'attitude (assumée) de groupies de certains membres de la team. (Bastien)
Robert Henke : ombre et Lumière
On est samedi et il faut écluser ses bières bien (trop) tôt pour être à l'heure pour la présentation par Robert Henke (aka Monolake) de son nouveau projet audiovisuel Lumière. On s'avance donc vers le Bozar en maudissant un peu l'organisation de nous faire venir si tôt. Pourtant, nos caprices de diva seront très vite calmées par la précision chirurgicale du live de l'Allemand. La performance, articulée autour d’un logiciel codé par Robert Henke en personne, nous a fait littéralement « tourner en carré » comme dirait l'ami Nil Hartman. Avec un son et un VJing tout en géométrie, Monolake a justifié son statut de référence ultime au sein de la musique électronique en alternant entre phases ultra-percussives et passages électro-acoustiques. Une heure de live sans la moindre once de mauvais goût, sans le moindre temps mort, le tout dans un silence et un recueillement quasi religieux. C'est à faire remarquer quand on sait la propension de la plèbe à ouvrir sa gueule pendant les concerts. (Bastien)
Thomas Ankersmit et Phill Niblock : attaques de drone
L’objectif du BEAF est empreint de noblesse, et sa concrétisation est bien souvent heureuse : dans un monde où il est parfois difficile d’éveiller la curiosité (on en sait quelque chose à GMD…), il faut créer de l’intérêt avec intelligence, pour mieux amener le sujet à plonger chaque fois un peu plus loin. On prend quelques phénomènes hypisants, des live qu’on sait d’avance percussifs et des figures autant respectées par les fondus que par la génération Pitchfork et on obtient un line-up classieux, qui élève le niveau dans un cadre idyllique. Et puis, si on y regarde bien, on a même eu la possibilité de s’enfoncer dans des prestations un poil plus complexes et dans de la composition peut-être plus rigoureuse (moins marrante diront certains). Thomas Ankersmit qui joue aux côtés de Phill Niblock, c’est la conscience extrême du BEAF, la collaboration qui remet Touch Music à sa véritable place : celle de fer de lance du sound-design et des grosses burnes contemporaines. La configuration acoustique donne directement le ton puisque c’est probablement la seule prestation du week-end a avoir bénéficié d’un traitement royal : quatre murs d’enceintes agencés de manière à offrir à l’auditeur les sensations d’une véritable installation, et qui feront mouche pendant une heure et demi. Thomas Ankersmit, trentenaire surdoué et fanatique du synthé Serge Modular, a balancé une composition complexe mais folle dans sa manière d’exploiter l’incroyable potentiel de son matériel analogique. Du drone qui grésille, des mouvements déstructurés, des ruptures étiquetées Editions Mego pour une performance royale et remplie de grandes sensations. Dommage que la moitié des couillons au bar n’ait pas eu la décence de fermer leurs gueules. Si Thomas Ankersmit représente l’avenir des musiques concrètes et expé, Phill Niblock est quant à lui plus proche de la fin que du début. Du haut de ses 81 printemps, l’Américain demeure la référence en matière de drone de daron, et il aura été à la hauteur de sa réputation au BEAF. Deux pièces psychotiques, où la multitude de nappes donne le tournis, où l’esprit s’enfonce sans pouvoir se raccrocher à la moindre bouée de sauvetage. Lui est serein derrière ses deux MacBook Air, sa bouteille de vin blanc à la main. De l’autre côté, la foule tente de maintenir son attention devant une performance ardue mais superbe de poésie et d’aboutissement. 90 minutes de contemplation, peut-être un peu trop confidentielle derrière les quelques grosses machines que le festival avait à proposer. (Simon)
Max Cooper, pour le meilleur et pour le pire
Avant Fuck Buttons, on est allés caler nos grosses fesses sur les strapontins de la salle Henry Leboeuf pour y assister à la prestation de Max Cooper. Le Britannique est une belle pointure de ce vilain concept qu'on appelle « électro » et déborde au delà du cercle des initiés. Il nous avait d'ailleurs livré un très bon Goûte Mes Mix qu'on réécoute avec plaisir. Pourtant, à son insu, Max Cooper a symbolisé dans son set tout ce qu'on a pu voir au BEAF, c'est à dire le pire côtoyant le meilleur. Avec un début de set poussif et prétentieux, on s'est vite dit qu'on allait quitter la salle pour aller siffler quelques bières OKLM. Mais Max Cooper n'étant pas un bleubite, il est parvenu à capter notre attention par intermittences, le reste du set oscillant entre explosions de techno minimale et moments de vide sidéral en mode sous-IDM. Un set vraiment frustrant pour un type qu'on sait capable de bien mieux. Pour couronner le tout, les visuels étaient très inégaux, voire très laids. On repense avec horreur au logo type « Toilettes pour Hommes » qui tente de prendre vie… Dommage pour un des noms qui se voulait les plus accessibles de l'affiche et qui aurait pu nous divertir entre deux salves de musiques plus opaques. (Bastien)
Fuck Buttons ravive la flemme
Samedi soir, le duo de Bristol est le dernier atout joué par le BEAF pour dézinguer le public avant le plus confidentiel (et décevant) Lumisokea et la fin du set des plus dispersés Young Echo. Fuck Buttons est une valeur sûre, c’est indéniable. Cette soirée n’a fait que confirmer leur réputation d’écorcheurs de tympans. Irrépressible d’ailleurs, a été l’envie d’extirper son popotin hors des confortables sièges de la salle Henry Le Boeuf pour se plonger dans leurs nappes redoutables. Seulement, les Britanniques étaient bien loin du crime parfait. Paresse ou lassitude, nos deux suspects ont joué en dilettante, tel le PSG face à une équipe de milieu de tableau. La dinguerie d’un « Brainfreeze » inaugural et le placement judicieux de « Surf Solar » auraient pu nous inciter à mettre de l’eau dans notre fiel. Mais l’ennui perceptible de Benjamin John Power, plus soucieux de son style capillaire que de ses machines, a comme laissé un goût de trop peu. Trop peu d’efforts, de fantaisie, d’envie tout simplement. Leur attirail, autrefois indissociable de leur présence scénique, n’a été qu’un apparat, une poudre aux yeux déjà éteints par la banalité d’un visuel d’ombres chinoises numérisées. Efficaces mais scolaires, les Diabolo et Satanas d’ATP Recordings se sont reposés sur leurs lauriers. (Maxime V.)
Young Echo : Bristol United
Si vous êtes du genre à tomber pour les hypes quand celle-ci ont paisiblement infiltré le mainstream, il est fort probable que le nom de Young Echo ne vous inspire rien. Par contre, si vous passez le plus clair de votre temps à sonder l’underground (et que vous êtes accessoirement amateur de bass music), vous savez déjà que le collectif de Bristol est chaud comme une baraque en frites en cette année 2014. Et on peut comprendre l’engouement: il y a d’abord la qualité des productions (un seul exemple : le tout récent album de Vessel). Ensuite, il y a la diversité d’un effectif qui compte principalement des nouvelles têtes, mais aussi des valeurs sûres, à l’image de l’excellent Kahn, incontournable sur la scène grime-dubstep. Il y a enfin l’esprit de corps qui anime la bande et dont on a eu la plus belle preuve en clôture de BEAF. Dans une salle pas bien garnie, c’est toute l’équipe qui avait fait le déplacement à Bruxelles – comptez une bonne dizaine de têtes quand même. Dans de telles conditions, on ne s’attendait pas à un set traditionnel, et on a été servis. Sur le plan de la technique pure, ce fut à n’en point douter le moment le plus brouillon du weekend. Transitions foireuses, cohérence inexistante, virages imprévisibles et gros bordel sur les planches auront caractérisé ces trois heures de set. Mais ces défauts ont été compensés par la fougue de jeunes types dont l’enthousiasme et la talent rappellent l’émergence d’une autre clique, celles des Skream et autres Benga, à la grande époque soirées Forward et de l’illégalité de Rinse FM. Et franchement, si l’on ne souhaite pas à des gars comme Neek ou Ossiah de finir comme les deux has been susmentionnés, on ne doute pas une seule seconde que le nom de Young Echo sera sur beaucoup de lèvres dans quelques mois. (Jeff)