Andrew Bird
Bruxelles, Cirque Royal, le 9 mai 2009
Il y a quelque chose d’assez étrange à voir la carrière d’un artiste que l’on suit depuis de nombreuses années décoller pour de bon. Quelque chose d’à la fois enthousiasmant et presque dérangeant, comme l’impression de voir un ami s’éloigner ou une part de nous-mêmes s’échapper. Bref, un sentiment mitigé entre la satisfaction de voir un talent enfin reconnu et le regret de laisser filer entre nos doigts un secret que l’on avait envie de garder pour soi. Pour avoir vu Andrew Bird au début de sa carrière solo devant à peine quelques dizaines de personnes, le voir remplir le Cirque Royal de Bruxelles donnerait presque le vertige – un sentiment renforcé par le fait que la scène se déroule dans le cadre des Nuits Botanique, premier festival belge à avoir donné sa chance à l’Américain comme l’évoquait Paul-Henri Wauters, programmateur de l’événement, il y a peu dans nos pages.
Mais avant de célébrer les retrouvailles avec le sifflotant volatile et de mesurer le chemin parcouru par le violoniste depuis la sortie de Weather Systems en 2004, le public a rendez-vous avec deux autres artistes, peut-être les têtes d’affiche de demain – à moins qu’il ne s’agisse de futures étoiles filantes vouées à renouer très rapidement avec l’anonymat. La soirée débute en douceur avec Laura Marling, auteur d’un Alas I Cannot Swim fort bien accueilli l’an passé. Si la toute jeune femme a du mal à s’imposer du haut de ses 19 printemps dans le cadre peu intimiste du Cirque Royal, son folk élégant aux influences évidentes (Nick Drake, Leonard Cohen, Joni Mitchell) laisse un arrière-goût particulièrement charmant qui donne non seulement envie de se replonger dans son premier effort, mais également de la recroiser dans une salle à taille plus humaine.
Dommage que l’on ne puisse pas en dire autant des Américains de Phosphorescent qui lui emboîtent le pas, précédés d’une réputation plutôt flatteuse. Car si le sextet évoque un temps le folk ténébreux de Woven Hand avec son entame de concert plutôt électrique, très vite c’est une pâle copie de Bonnie ‘Prince’ Billy qui prend la relève pour une démonstration de country fadasse. Bien que proche de celle de Will Oldham, la voix de Matthew Houck n’en possède ni la profondeur, ni la puissance – tout juste retrouve-t-on les mêmes aspérités geignardes qui finissent par lasser sur la longueur. Alors forcément, quand le groupe puise, comme sur son dernier album, dans le registre du grand Willie Nelson, ce n’est pas vraiment l’orgasme musical, plutôt une laborieuse prestation digne d’un tribute band imbibé dans un pub miteux de Nashville. Sur la fin du set, il y a bien une tentative d’évolution vers un folk un peu plus sombre mais le résultat manque trop de grâce et de finesse pour réellement convaincre.
Il faut donc bien un énergumène du niveau d’Andrew Bird pour remettre les compteurs à zéro. Et ça tombe bien, le chanteur est en très grande forme et enfin entouré d’un vrai groupe, avec un bassiste et un guitariste en plus du fidèle Martin Dosh à la batterie et aux claviers. Le résultat de cette nouvelle configuration, c’est un son plus riche, plus ample, plus contraint aussi techniquement mais sans sacrifier pour autant les velléités expérimentales du violoniste. D’ailleurs, si le côté bidouilleur du bonhomme avait par le passé tendance à prendre le pas sur les morceaux eux-mêmes, l’équilibre est désormais bien meilleur, rendant réellement justice aux nombreux extraits de Noble Beast et aux quelques gloires du passé rescapées de l’évolution perpétuelle de leur auteur ("Opposite Day", "Measuring Cups", "Armchairs", "Imitosis").
Pendant presque deux heures, la démonstration est impressionnante, carrée, pas toujours très spontanée certes et avec peu d’échanges avec le public, mais le résultat est là, efficace, à l’image de ce "Fake Palindromes" enfin à la hauteur de sa version studio et salué par une standing-ovation. Après un court rappel et un discret featuring de Laura Marling sur "Sovay", le virtuose américain choisit de conclure la soirée sur "Don’t Be Scared", cette reprise de The Handsome Family qui clôturait déjà Weather Systems en 2004. Et là, le constat est juste saisissant : en seulement cinq années, le chemin parcouru par Andrew Bird est phénoménal - et surtout il est très loin d’être terminé. Vivement la prochaine étape…