Zelda : Tears Of The Kingdom (OST)
Manaka Kataoka
Parfois, on a la chance d’avoir comme un double départ en vacances : dans la valise qu’on emporte pour quitter notre lieu de vie traditionnel, on part avec un jeu dans lequel on va pouvoir se fondre tout un week-end, toute une semaine, ou... tout un été. Et comme si Nintendo avait très bien compris ce que les joueurs·euses du monde entier attendaient d’un opus de Zelda, voilà que les premiers trailers faisaient moins office de présentation de gameplay ou d’univers que de promesse psycho-esthétique : un saut dans le vide.
Zelda : Tears Of The Kingdom (TOTK) est sorti le 12 mai 2023, et si le flou règne encore sur la date de sortie officielle de sa B.O. (celle de l’épisode Breath Of The Wild (BOTW) est sortie un an plus tard), il nous a de toute façon fallu plusieurs semaines pour venir à bout de ce jeu-univers. Pour l’exactitude de ce qu’on appelle une actualité, on repassera. À la baguette, et sortant désormais de l’ombre de Koji Kondo, on retrouve la compositrice Manaka Kataoka, qui était déjà lead composer sur le premier volet. Pour ce faire, elle s’est entourée d’une équipe particulièrement efficace ces dernières années et complètement interne à Nintendo : l’arrangeuse musicale de Super Smash Bros. Ultimate Maasa Miyoshi, un des compositeurs d’Animal Crossing : New Horizons Masato Ohashi, et d’un petit nouveau dont on entendra probablement parler plus tard, Tsukasa Usui.
Une des choses qui font que la bande originale de Zelda : Tears Of The Kingdom est une magnifique musique de jeu vidéo, c’est qu’elle fonctionne de manière inhérente aux autres pans créatifs du jeu. L’univers, la narration, le character design, et surtout le gameplay ont été pensés comme une suite de BOTW, en intégrant et dépassant tous les éléments qu’on pouvait y trouver, et produisant cet effet finalement assez rare même dans ce qu’on appelle une suite traditionnellement, à savoir qu’il est probable qu’on ne rejoue plus jamais au premier opus, tant le second intègre ses éléments caractéristiques.
Si la musique de BOTW se distinguait surtout par l’horizontalité des trajets qu’on peut effectuer dans le jeu, rappelant à quel point il était un jeu d’exploration de plaines et de montagnes, TOTK a en quelque sorte triplé cette organisation. Si l’axe x existe toujours, puisqu’on a bien la musique des Gerudos, la musique des plaines, la musique des Gorons, etc, il faut y rajouter un axe y, celui-ci vertical, rendant compte des trois strates d’horizontalité que présente le jeu (les Îles Célestes, le royaume d’Hyrule, les Profondeurs). Cet axe propose d’une part un renouvellement du stock de thèmes centré autour des instruments à vent. Pour donner cette sensation de liberté aérienne que le gameplay convoque très tôt dans l’aventure, Manaka Kataoka a choisi de reprendre les préceptes de composition du piano dans BOTW, mais de les appliquer à de petits groupes de vents, organisés en quintet ou sextet (on imagine). On en comprend bien l’idée générale en écoutant « Sky Islands », le thème des Îles Célestes, et « Sky Islands (Low Gravity) », sa version plus en altitude encore. Ce changement radical de groupe orchestral, c’est également la préfiguration auditive de l’existence des Soneaus, un nouveau peuple dans l’univers de Zelda, et qui construit sa place avec une musique encore inédite dans la saga. D’autre part, cet axe vertical permet de modifier tous les thèmes de BOTW. Dans le thème des plaines, « Hyrule Field (Day) », des flûtes traversières viennent subtilement doubler le piano pour donner un aspect aérien à l’ensemble du jeu.
Pour les Profondeurs, l’idée est la même, sauf que la narration environnementale proposée par la musique ne consiste pas en un groupe d’instruments, mais dans une composition plus saccadée, et volontairement plus inquiétante, le delay omniprésent rendant évidemment compte du gigantisme de la zone (une sorte de jeu dans le jeu si on veut). Tous les sons du niveau des plaines y sont d’ailleurs comme étouffés et déformés, offrant la promesse d’un Zelda plus sombre, attendu avec impatience par la communauté depuis Zelda : Majora’s Mask (2000).
Rendant compte subtilement et organiquement de l’univers dans lequel on évolue, la bande originale de TOTK se permet même un troisième axe musical, une sorte d’axe z très léger, et qui ne s’attend que par des effets sonores présents dans la musique : le temps. Sans spoiler outre-mesure, l’histoire du jeu implique un voyage dans le temps. Des éléments connus de sound design et des thèmes musicaux se trouvaient alors déstructurés et placés littéralement à l’envers. C’est un élément qu’on retrouve dans beaucoup de thèmes, lorsque des voix reversed sont positionnées comme un indicateur à la fois de la corruption du monde, mais également du rapport plus ou moins proche, narrativement, de l’action en cours et de l’arc de la princesse Zelda. On peut citer par exemple « Gloom’s Approach » ou certains sons joués comme s’ils étaient à l’envers, comme dans « Gloomy Korok Forest ».
Après une écoute approfondie de toute la bande originale, on comprend aussi à quel point le thème principal du jeu est un petit bijou de synthèse de tous ces principes de composition, mais même de bien plus. Dans Zelda, la composition musicale ne concerne jamais que la musique. Un des éléments essentiels des jeux Nintendo, c’est la continuité directe entre la composition musicale et le sound design. Dans cette bande originale particulièrement acoustique et japanisante, Hajime Wakai a poursuivi son travail pour faire en sorte que les objets du monde sonne plus comme la musique que l’inverse. En décomposant les sons, notamment celui de la prise d’objet, on se rend compte que le sound design de TOTK est très tonal et propose des harmonies proches des sons du bois et de la pierre. De quoi rendre encore plus enveloppant la sensation d’aventure au cœur de la nature.