Yuri
Dosseh
Il y a dix ans de cela, si vous aviez demandé à n'importe quel auditeur de rap français quel emcee allait être amené à runner le game, il est probable que le nom de Dosseh ait figuré en bonne place sur la liste. Nous sommes en 2016, le rap français est plus à la mode qu'il ne l'a jamais été (oui, oui) et Dosseh vient de sortir son premier album : Yuri. Dans l'intervalle, il a vu lui passer sous le nez toute une pelletée de rappeurs inconnus lors de la décennie précédente : Niro, Kaaris, Jul, Gradur, Niska, PNL, SCH ...
Refusant de rester cantonné au rôle de secret le mieux gardé du ghetto, le rappeur d'Orléans a travaillé jusqu'à finalement décrocher un contrat en major : en 2014, il signe chez Def Jam France. Depuis, il a préparé l'arrivée de son premier album, en alternant le bon et le moins bon. Sur le papier, Dosseh a tout du grand emcee : vocabulaire riche, mots d'esprit et punchlines travaillées. Bref, des qualités d'un autre temps. Alors le rappeur d'Orléans a dû s'adapter. À la manière d'un Alonzo, Dosseh a cherché à transformer son street rap typique des années 2000 en bangers club/trap plus au goût du jour - et surtout plus rémunérateur.
Mais, si le Marseillais est parvenu à se réinventer, l'Orléanais semble, lui, avoir beaucoup plus de mal. Sur ce premier album, il tente de concilier son ADN et ses ambitions. Et pour le dire franchement, le résultat débouche sur un entre-deux sans saveur : autotune martial et dépressif ("Afrikan History X"), rap français démago avec le roi du genre ("Putain d'époque" feat. Nekfeu) ou featuring US sans intérêt ("Milliers d'Euros" avec Young Thug). Le véritable problème du Doss', c'est le personnage qu'il esquisse à travers ses rimes.
Aussi salace avec ses groupies ("Marriott Hotel") qu'intransigeant en amitié (le storytelling sanglant "Abel et Caïn"), l'artiste se complaît dans le costume du "parfait rappeur". Ni plus, ni moins. Il ne va pas au bout du rôle de fou à lier sanguinaire (Kaaris) mais refuse également de se livrer réellement sur les affres de la vie de rue, comme pourraient le faire un Lacrim ou un SCH. L'archétype du gangster sans peur et sans reproche qu'il investit sonne complètement usé, dépassé. Si sa musique est souvent bien exécutée, à aucun moment l'auditeur n'arrive à entrer en véritable connexion avec ce "superman du ghetto".
Les seuls moments intéressants de l'album sont évidemment ceux où Dosseh sort de ce rôle. Sur "Solo" et ses mélodies vocales à la Michel Berger, il aborde la vie de couple de manière juste et touchante : "D'abord on achète les meubles, ensuite on déplace les meubles, on essaie de sauver les meubles, puis on se partage les meubles". Plus loin, sur "Keblo', il investit à fond le créneau afro avec un morceau quasiment coupé-décalé et a l'air d'enfin s'éclater vraiment : "On s'fait la bise (...), pas comme des dep' mais des mafieux de Naplouze".
Bref, qu'il est compliqué pour les étoiles du rap de rue des années 2000 de réussir à briller aux côtés des MHD, Niska et consorts. Si certains ont opéré un repli stratégique sur des scènes de niche (Alkpote) d'autres sont parvenus à faire leur mue (Alonzo) - souvent aux dépens de ce qui faisait leur spécificité. Si tout le monde s'accordera sur les immenses qualités artistiques de Dosseh, il n'a pas encore trouvé comment s'appuyer sur elles pour s'imposer dans cette nouvelle ère.