You Kingdom You
Fires of Rome
Il est un temps que les moins de vingt ans n'ont presque pas connu – et on n'est pas loin de les envier. Les années 80. Il y a vingt ans tout juste, en 1989, on était heureux de voir la fin de cette décennie qui fut méchamment criminelle pour le rock, soit en invitant certains excellents groupes des années 70 à se fourvoyer (Queen en tête), soit en donnant naissance à des formations qui, en toute décence, n'auraient jamais dû voir le jour et qui n'ont, d'ailleurs, pas survécu au passage à la décennie suivante. Ces groupes-là sont légion : INXS, Europe, Toto, Simple Minds, la liste est longue de ces pompiers pyromanes ennemis du bon goût. Et, étrangement, le début de ce vingt-et-unième siècle voit, de temps à autre, débarquer de nouveaux noms qui n'ont rien trouvé de mieux que s'inspirer de la musique dominante de cette époque-là pour tenter de plaire au public d'aujourd'hui. On a eu droit à The Killers, déjà passablement nuisibles, voici maintenant Fires of Rome.
Présentée comme le gros groupe à venir, sur le point de mettre le feu (ah ah, bien vu, le nom) et de tout exploser sur son passage, cette formation new-yorkaise débarque avec un premier album, You Kingdom You, auréolé d'une prestigieuse réputation et de jolies références dans leur domaine (Led Zeppelin, Bowie…) et qui, pourtant, fait l'effet d'un feu de Bengale, pour ne pas dire d'un pétard mouillé. Certes, le premier morceau du disque peut faire illusion le temps de ses quatre bonnes minutes. "Dawn Lament", emmené par un clavier désuet et surmonté de quelques cordes, ne fait pas dans la dentelle mais se laisse écouter, dans un registre déjà bien labouré par les Franz Ferdinand, à condition de mettre de côté la voix d'Andrew Wyatt, qui fait furieusement penser à celle de Peter Gabriel et donne un indice de ce que sera la suite : une réminiscence de Genesis. J'en vois déjà qui hurlent à l'aide, au secours, qui menacent de quitter cette page, et je les comprends.
Car You Kingdom You est bel et bien un mauvais album, du genre de ceux qui n'hésitent pas à avancer les testicules gonflées à la testostérone et à l'hélium, maquillés comme des prostituées d'Europe de l'Est sur les boulevards des Maréchaux à Paris et qui oublient, du coup, ce que peut signifier le mot "subtilité". Par exemple, "Set in Stone", qui débute comme un bon vieux Suede ("Can't Get Enough"), enchaîne rapidement sur du mauvais Clash (pléonasme) chanté par Simon LeBon (Duran Duran). Aux dernières nouvelles, il existerait des amateurs, pris au piège dans un espace-temps déconnecté du monde réel à la suite d'une défaillance de la machine à télétransportation du Docteur Spock.
De manière générale, cherchant à multiplier des sources d'inspiration périmées (Gang of Four sur "Bronx Bombardier", T-Rex sur "But You're Such a Cherry", etc.), de surcroît de manière bien trop visible pour être honnête, les Fires of Rome ne parviennent en réalité qu'à se singulariser par leur médiocrité effarante et leur manque total de glamour, bien trop occupés à abrutir l'auditeur de guitares putassières et de refrains pathétiquement plats. Quitte à piocher dans les bons groupes des années 80, autant se remettre un Depeche Mode de la grande époque. Et quitte à enfoncer une porte ouverte : non, la scène new-yorkaise n'est pas une référence fiable.