You & i are Earth
Anna B Savage
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Dans la folk, la recherche de realness est le critère absolu et le graal. Des Ricain·es posant en salopette au milieu du foin aux Écossais·es scrutant l’horizon au bord de la falaise de l’existence, l’authenticité est maîtresse, et le premier degré omniprésent. Mais le genre s’est aussi emparé d’une authenticité intérieure, celle des relations amoureuses et des paysages sentimentaux. À l’instar d’un Sufjan Stevens, Anna B Savage navigue sur une folk qui vise le documentaire émotionnel.
Tout en appartenant à un genre bien identifié, You & i are Earth est aussi le condensé complexe de beaucoup de choses. Un éco-journal, fruit d’un retour littéral à la nature, et qui envahit jusqu’à la pochette de l’album, sur laquelle on voit Savage naître et mourir par la mousse ; une gigantesque lettre d’amour à l’Irlande et à Donegal où elle réside désormais ; une intime et sentimentale exposition de soi, faite dans une simplicité neuve.
On ira jusqu’à dire que ce condensé et la musique qui l’incarne semblent tout de même témoigner d’une évolution assez franche pour Anna B Savage. Pas radicale, mais dans sa discographie, on peut parier que You & i are Earth pourra longtemps être perçu comme un moment de calme rarement répété. L’axe principal et majeur du disque est assurément celui, paroxysme folk, du guitare-voix. La batterie a disparu de beaucoup de titres, et les éléments électroniques desquels sa voix émergeaient dans les deux précédents disques sont complètement absents. Dans un imaginaire pas franchement innovant, le retour à la nature, c’est celui de la végétation, des instruments à vent et du bois des cordes. C’est le cas, par exemple, du morceau-titre « You & i are Earth ».
Toutefois, simplification n’est pas simplicité, et l’instrumentation de ces dix nouveaux titres fourmillent de minuscules et excellentes idées. Pêle-mêle, la poursuite de sa passion pour faire choeurs avec les clarinettes et les saxophones, l’insertion légère mais présente de soundscaping, cette confusion permanente entre de la musique de méditation orientalisante et des résolutions absolument irlandaises, etc.
C’est qu’un disque de folk, c’est tout de même – et avant tout – un disque écrit. Anna B Savage ne fait pas exception à cette recherche de la formule : si le disque aborde toute une galaxie de questions, c’est dans des mots simples et bien choisis qu’il tisse ces questions entre elles. C’est d’ailleurs sur un très joli « When I cry you say I taste like the sea » que se dévoile la dague littéraire avec laquelle Savage embroche d’un même coup l’Irlande et l’amour. Une métaphore qui sera filée tout au long du disque, à base de phare dans la nuit, ou de l’équivocité de sa passion pour Donegal, conjuguant la recherche fondamentale d’un noyau originaire dans lequel se blottir. Loin de la vitesse urbaine, prendre le temps de se retrouver soi-même, dans l’éclatement d’une identité qui dépasse l’esprit et le corps, et fond sur les rues et les campagnes de notre enfance comme la mousse sur les arbres.
Au-delà de ça, You & i are Earth est simplement un joli disque de folk, dans lequel on peut chercher du repos, comme avec « The Rest of Our Lives », ou un bon tube comme elle sait en faire – et comme elle en refera - avec « Donegal ».