Years Of Refusal
Morrissey
Chroniquer un disque de Morrissey est un exercice périlleux. Non pas que l’œuvre du bonhomme soit particulièrement difficile à cerner ou qu’il soit compliqué de mettre des mots sur les émotions suscitées par chaque nouvelle galette. Non, le danger chez Morrissey, ce sont ses fans. Pour les monomaniaques du Moz, ce type est Dieu et écrire sur Dieu, c’est forcément mal. Avec le temps, c’est devenu encore plus compliqué car les fans se sont divisés en deux camps : ceux qui estiment que Dieu est aux fraises et devrait prendre sa retraite, et ceux qui estiment que Dieu réinvente le monde à chaque disque. Soit deux fois plus de chances de se les mettre à dos.
Comme souvent, la vérité se situe quelque part entre ces deux extrêmes. Si Morrissey ne révolutionnera plus jamais le monde comme il l’a fait dans les années 80 avec les Smiths, sa carrière solo reste en grande partie exemplaire, malgré quelques écarts plus faibles (notamment le récent et décevant Ringleader Of The Tormentors). Alors, quid de ce nouvel album d’abord annoncé pour septembre dernier puis repoussé pour d’obscures raisons de label ? Eh bien, la bonne nouvelle, c’est qu’il divise les fans comme jamais ! D’un côté, il y a ceux qui conchient ce son crade ('américain' même, quelle horreur) produit par feu-Jerry Finn (déjà aux manettes sur You Are The Quarry), et de l’autre ceux qui louent le retour bienvenu d’un Moz plus brutal comme à l’époque de l’essentiel Your Arsenal.
Puisqu’il faut choisir son camp (la neutralité, c’est pas trop notre truc), allons-y tout de go : Years Of Refusal dépote grave. Dès la première écoute, les guitares vous agressent et la batterie, omniprésente, écrase tout sur son passage. Et par-dessus ce bordel absolument jouissif trône la voix de Morrissey, plus impériale que jamais, portant des mélodies bien accrocheuses comme il faut, limites putassières. Et ces déclarations d’intention que seul l’ex-leader des Smiths peut assumer : "Something Is Squeezing My Skull", "I’m Throwing My Arms Around Paris", "All You Need Is Me", "That’s How People Grow Up"… A bientôt 50 ans, le chanteur bombe le torse, assume ses bourrelets et ses cheveux clairsemés et grisonnants, et préfère brandir le majeur (même impeccablement manucuré) plutôt que le pouce.
Classe jusqu’au bout des ongles, le bonhomme se permet également quelques belles audaces musicales au milieu de cette démonstration de force, notamment la country-mariachi de "When Last I Spoke To Carol" que l’on jurerait piqué à Calexico. Et pour conclure les choses comme il se doit, il y a ce morceau énorme qui résume tout Morrissey en quatre minutes et des poussières : « After all these years, I find I'm OK by myself. And I don't need you and I never have ». Que dire de plus ? Spéciale dédicace aux fans râleurs et à ceux qui fantasment sur une reformation improbable des Smiths : Years Of Refusal se hisse aisément tout en haut du panthéon personnel du Moz, aux côtés de l’élégant Vauxhall & I dont il est l’antithèse parfaite.