Xerrox Vol.5

Alva Noto

Raster Noton – 2024
par Simon, le 5 décembre 2024
7

Assister à la clôture de cette grande saga qu’est la série Xerrox me file un terrible coup de poing au ventre. Aussi loin que je puisse me souvenir, ma rencontre avec Alva Noto signe le premier véritable décloisonnement de mon approche du spectre musical expérimental. Vrioon, sa première collaboration avec l’éternel Ryuichi Sakamoto, sonnait il y a vingt ans comme l’objet le plus beau que j’avais jamais eu à entendre, et Raster Noton devenait le lieu de mes plus belles découvertes. Carstein Nicolai m’a fait avancer dans ma quête sonore comme personne, m’ouvrant la voie par la suite à tout l’univers de Mille Plateaux, d’Editions Mego puis de Touch Music. Une forme de Sainte-Trinité. Par là, mon introduction aux œuvres des regrettés Mika Vainio et Peter Rehberg. Tout mon Saint-Graal repose là, et tous ces joyaux je les dois d’abord à l’œuvre d’Alva Noto (et à dMute et son forum, aussi).

Quand le premier volet de la série Xerrox a été annoncé, tout le monde s’est préparé à entrer dans une des sagas ambient les plus influentes de l’histoire – une pièce introductrice qui annoncerait une œuvre globale digne des travaux de Wolfgang Voigt sous son alias GAS, taquinant le 1, 2 et 3 de Pole ou le The Disintegration Loops de William Basinski. Mais personne ne s’attendait vraiment à ce que Xerrox Vol.1 devienne le disque d’une décennie. Ce premier volet est une parenthèse dans l’histoire où la synthèse musicale d’un homme se cristallise en une acmé totale, en une date définitive qui, entre la naissance et la mort, fixe la culmination personnelle, l’état de grâce total. C’est étrange à dire avec le recul, mais le 23 mars 2007 l’Allemand était sur le toit du monde, comme peu l’ont été entretemps.

Le son Xerrox était le son du futur. La réécriture des grands mythes ambient dans une version contemporaine bouleversante, repensée dans l’infiniment petit du glitch et du bruit blanc. Ce premier volume intégrait un rapport à une temporalité nouvelle, qui peine encore aujourd’hui à être saisie totalement. Il était l’imaginaire binaire à son plus haut degré d’intimisme, il n’était romantique que par pure projection. Il était froid et mystérieux. Il était la construction et l’évanescence sur un rail nouveau. Xerrox Vol.1 était absolument total. Puis sont arrivées les cordes, l’ouverture au monde nouveau (« The Old World vs The New World », des mots de son auteur) et au romanesque, d’abord par touches, puis par recours permanent.

La série Xerrox a donc petit à petit glissé vers une autre version d’elle-même. Car entretemps Carsten Nicolai a intégré le monde des grands, réalisant avec la bande originale de The Revenant son entrée à la table des puissants. Le son en est revenu gonflé, minimaliste par essence, mais calé sur un braquet de studio hollywoodien désormais. Le sound design de l’Allemand caresse à défaut de provoquer, et si sa lancinance manque parfois de retenue elle est toujours trop bien ancrée dans ses racines compositionnelles pour véritablement effectuer la glissade. Alva Noto est incapable de sortir un mauvais disque, et c’est bien le minimum.

Le troisième et le quatrième volume sont à peu près de cet acabit, pas mal dans le pathos et riche comme un Mellow Cake. A vrai dire, la série Xerrox – sur ce mode là tout du moins – aurait pu durer une décennie de plus qu’on n’aurait finalement rien vu. L’univers est en place, dans une version tourisme spatial pour les riches, on regarde par le hublot et on prend plaisir à dériver lentement, observant les paysages défiler dans une grande photographie macro. Et ce Xerrox Vol.5 tient de la même panade : des longs plans musicaux filmés au drone auditif, de la nappe trop parfaitement amenée et calée toujours sur les mêmes attaques, une densité dans le son gérée au poil de teub et des incursions electronica qui sont évidemment jolies comme tout. C’est du documentaire Disney+ pendant quatre-vingt minutes. Et tant pis si on se fait un peu chier sur certains passages, tout est trop bien léché pour pouvoir s’y attaquer méchamment. Comme Max Richter, comme Nils Frahm, comme tous ces petits devenus très grands. Parcourir ce Xerrox Vol.5 c’est comme revoir un vieil ami à qui on n’a plus vraiment grand-chose à dire, qui s'est lentement embourgeoisé, sans vraiment prévenir. Ça fascine moins, mais ça n’empêche pas de repenser aux grands moments qu’on a partagés ensemble.

Au CTM 2009 j’ai eu la chance d’assister dans la cave berlinoise du Maria Am Ostbahnhof à une soirée A/V de Raster Noton. C’était l’époque de Unitxt et de la surpuissance du label. Entre Frank Bretschneider, SND (période Atavism, quel délice ) et Byetone (époque Death of A Typographer), Alva Noto a imprimé en moi ce jour-là une image dont je ne pourrai jamais me séparer. Il était le génie ultime, mon jugement sur lui était inconditionnel. Je ne pense pas que je reverrai quelque chose d’aussi solaire un jour. Dix-sept ans plus tard j’ai juste envie de le remercier sincèrement. Peu importe la trajectoire que tout cela a pris, cette série résonne en moi comme une histoire de copains liés pour la vie. Je souhaite à tout le monde d’avoir un jour la révélation qui a été la mienne au contact de la musique de Carsten Nicolai. D’une certaine manière, Xerrox m’a sauvé la vie. Merci pour tout, copain.

 

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