Wonderful, Glorious
Eels
Si certaines productions artistiques peuvent être qualifiées d’auto-suffisantes, il en est d’autres dont l’intérêt peut se trouver décuplé par la présence d’un discours d’escorte mettant en lumière des réalités qui pourraient échapper à une première approche superficielle de l’œuvre. Ceci pour dire que j’ai longtemps écouté Eels de loin, avec un vague plaisir mais sans enthousiasme démesuré. En sélectionnant quelques titres à gauche et à droite (comme “Novocaine For The Soul”, “Last Stop : This Town” ou “Mr E’s Beautiful Blues”, par exemple) au détriment de la cohérence des albums respectifs dont ceux-ci sont issus.
Et puis, il y a quelques mois, j’ai lu Tais-toi ou meurs, l’autobiographie de Mark Oliver Everett, publiée chez l’excellente maison d’édition 13e Note : ce livre, formidable de puissance et de lucidité, m’a conduit à reconsidérer la profondeur du répertoire de celui qui, depuis une petite vingtaine d’années, tient le projet Eels à bout de bras et à comprendre, comme ça, en passant, que “P.S. You Rock My World” était l’une des plus belles chansons jamais écrites.
Au moment de découvrir Wonderful, Glorious, le dernier album de la bande à E, je me rends compte que mon horizon d’attente n’est plus seulement infléchi par ce que je connais musicalement d’Eels, mais aussi par ce que je sais, d’un point de vue biographique, de son frontman barbu. Faire le départ entre l’homme et l’œuvre : l’un des premiers conseils qu’on donne à des étudiants en Lettres.
Pourtant, au risque de tomber dans l’évidence, il faut bien dire que ce dixième album d’Eels ressemble bien à la cheville ouvrière du groupe. Complexe sous ses airs simplistes, il oscille constamment entre optimisme et mélancolie au fil de treize titres cyclothymiques. Dominants sur “New Alphabet”, les sons garage s’unissent volontiers aux mélodies faussement naïves, comme sur l’excellent single “Peach Blossom” ou sur “Bombs Away”. Si des morceaux plus traditionnels comme “Accident Prone”, “On The Ropes” et “True Original” permettent à E de rappeler à qui l’aurait oublié ses qualités de compositeur de balades classieuses, certains morceaux parviennent malgré tout à surprendre ponctuellement, à l’image du bizarroïde “You’re My Friend”, construit sur une étrange ligne de basse dynamisant le morceau au fur et à mesure qu’il s’enrichit.
Au fond, ce dixième album se donne presque à écouter comme un jubilé : rassemblant les éléments qui ont fait le succès d’Eels, il en est la synthèse, aux sens littéraire du résumé et chimique du cocktail composite. Et c’est une belle réussite.