WINK

CHAI

Sub Pop Records – 2021
par Émile, le 15 juin 2021
8

« Nobody Knows We Are Fun ». Soit c’est un coup de bluff, soit il y a vraiment un souci. Parce que penser que les quatre musiciennes qui composent CHAI ne sont pas « fun », c’est vraiment avoir les oreilles à la place de la cavité anale. Alors pourquoi ? Parce que Yuna, Yuuki et les deux sœurs Mana et Kana ont la vague impression de ne pas être reconnue à la hauteur de leur talent dans leur Japon natal. Pourtant, pour celles qui se veulent prophétesses au pays de Merzbow, leur dernier disque a de quoi être celui de l’explosion.

Fondé en 2017 à Onna, dans la province d’Okinawa, CHAI se veut avant tout un petit bonbon pop-punk. Ça joue de la gratte, ça chante, ça s’éclate dans les mélodies et ça met l’ambiance en concert dans un style « neo-kawai » revendiqué en interview comme dans les costumes de scène. Mais en 2021, CHAI change, en a marre de cette pop-rock que le public japonais refuse de considérer et se tourne vers l’Occident.

Ces derniers temps, CHAI traîne avec Gorillaz, JPEGMAFIA ou Mndsgn. Un décalage complet effectué en moins de deux ans et qui a complètement transformé la musique du groupe. Dans WINK, la fraîcheur vient du hip-hop. Un hip-hop digéré et transformé, mais dont on retrouve des formes extrêmement classiques, notamment ce track avec le producteur de Chicago Ric Wilson, petite pépite de Rnb, ou ce fameux « Nobody Knows We Are Fun » qu’on dirait tout droit sorti d’un disque de Kaytranada. Au fil des morceaux, le chant nasillard des deux premiers albums s’estompe lentement au profit d’une petite révolution qui s’accomplit dans « It’s Vitamin C ».

Alors, punk is dead, hip-hop is king, ouin ouin ? Pas vraiment, puisque tout aussi inspiré du boom-bap et du Rnb que puisse être WINK, ce décalage était complètement prévisible, et même programmé. Parce que ce disque reste dans l’essence du groupe depuis le début : le fun. Ce même fun dont elles doutent qu’on – ou plutôt les Japonais-es – s’en rendent compte. Parce qu’après PINK et PUNK, le nouveau disque s’appelle WINK. Dès 2018, le quatuor est drôle, énervé et sacrément technique. Elles explorent la techno, le hard rock, l’indie, et donnent l’impression d’être d’énormes diggeuses en mutation permanente. Cette absence de limite qu’on trouvait par exemple sur « THIS IS CHAI » en 2019, on le retrouve sur « END », superbe mix de big beat, de vibe à la MC Hammer et de kawai. Et que dire du choix de bosser avec YMCK ? Le featuring avec le musicien et vidéaste japonais est un mélange de punk 8-bit et de Celeste sous amphet, rappelant à toute la fanbase à quel point CHAI est un projet métamorphe.

D’ailleurs, si Mana, Kana et leurs comparses ont quitté les guitares pour les claviers, elles n’en restent pas moins attachées à la chanson pop de leurs débuts. Toute une partie de l’album reste tourné vers une certaine quête mélodique un peu en retrait de l’humour qui peut poindre partout ailleurs ; on pense notamment à « Wish Upon a Star » ou au single « Donuts Mind If I Do ». Peut-être que l’explosion de leur succès va les installer définitivement dans la périphérie du hip-hop indie et du punk. Peut-être que dans cinq ans, elles sortiront un album avec du quatuor à cordes et des featurings avec Sunn O))) et Emile Parisien. ON EN SAIT RIEN et c’est une proportion importante du plaisir qu’on prend à les écouter.

Le goût des autres :