Why Can't We Be Like Us?
Bruno Pronsato
Il est de ces artistes dont la patte ne saurait laisser indifférent. Bien heureux d’y avoir affaire un jour ou l’autre, on ne s’excusera jamais assez de ne les avoir découverts que trop tard. Bruno Pronsato est définitivement de cette classe-là. Quatorze ep depuis 2003 et un album sorti sur le label Orac il y a de ça quatre ans et l’Américain demeure toujours au stade du producteur souterrain. Quoiqu’à bien y regarder, ce Why Can’t We Be Like Us ? est avant tout l’accomplissement méritant d’un producteur que l’on pensait tout naturellement être la nouvelle coqueluche montante de l’anti-starsystem minimal. Un nom que l’on prenait peur à prononcer, de peur de le voir disparaître dans un flot de précipitation malvenue. On s’est alors juste contenté de se le chuchoter à demi-mot, le deuxième passage sur format long de l’Américain allait faire mal, tellement mal qu’on hésitait parfois à y croire. En ce sens, Bruno Pronsato se fait frère de réputation avec cette génération de jeunes producteurs, portés au plus haut à l’aide d’un son prompt à nettoyer la minimale (qu’il soit question de house ou de techno) de ses clichés les plus tenaces. On pense évidemment à Shonky (Time Zero) ou encore Onur Özer (Kasmir) qui dans le fond ont ceci de commun d’avoir marqué de manière indélébile leur premier passage dans la grande stratosphère électronique au moyen d’œuvres, encore actuellement, essentielles.
Et il faut bien dire qu’avec cette nouvelle production, notre producteur originaire de Seattle voit les choses en grand. Décidément dans son élément, les dix titres ainsi composés ne font rien comme les autres et tendent à se projeter dans des galaxies à chaque fois renouvelées par un travail en profondeur qui laisse rêveur, prolongeant le rythme au-delà même de son acceptation la plus pointue. En effet, en bon métronome qu’il est, Bruno Pronsato étend sensiblement notre notion de ligne droite pour arriver à une progression slalomante sans jamais oublier d’en revenir finalement à l’objectif de départ, préférant aux digressions rageuses une exploration en largeur de ce que la transe a de mieux à offrir. Car comme d’autres - Villalobos et Gabriel Ananda en tête – Bruno Pronsato entretient à nouveau cette savante théorie du frottement, celui des corps décharnés par le rythme et agglutinés par la sueur, une tension qui ne cesse de monter dans un flot de batteries qui s’entrechoquent et de giclements aquatiques (quoique non, tout simplement humide à ce stade) craquant dans des micro-failles immédiatement reconstituées par la seconde d’après.
Plus cohérentes encore que celles des producteurs précités, ces dix pièces sont la déclinaison successive d’un unique tableau : une quête identitaire troublante, dont le doute permanent ne laisse à ce qui sert d’empreinte charnelle que la seule possibilité de s’exprimer par courts râles d’essoufflement, voire de pianos affreusement solitaires. Sisyphe aurait peut-être dû chercher à pousser sa pierre d’une manière différente. Son supplice eut été moins long. Bruno Pronsato sort de cette manière de l’antichambre des sentiments avec une grâce toute naturelle, virevoltant à présent à des kilomètres du monde souterrain avec la ligne de basse comme gouvernail, le travail de sape comme toile de fond et les mutations incessantes comme mode d’expression. Tiraillé par des grooves sub-lunaires et mélodies implicitement soufflées, voici l’accomplissement d’une promesse en laquelle on avait tort de douter à en voir le travail de titan déployé ici.
Why Can’t We Be Like Us? est, ou deviendra sûrement une de ces oeuvres balises comme ont pu l’être The Idiots Are Winning de James Holden ou les premiers travaux de Matthew Dear : essentiels pour ce qu’ils portent de plus beau tout en proposant définitivement une nouvelle manière d’écrire le minimalisme électronique. Bruno Pronsato sort de sa cave rassuré et nous aussi par la même occasion, heureux de voir que tout ne fait que commencer pour la reconstruction d’un édifice électronique aussi instable qu’à nouveau en devenir. On pourrait tirer notre chapeau à ce grand monsieur, on préférera se taire car le silence après du Bruno Pronsato reste du Bruno Pronsato.