Who Let The Dogs Out
Lambrini Girls
Le punk est une vieille garce qui a déjà traîné ses bas troués partout. Pourquoi donc s’évertuer à la réhabiliter une nouvelle fois lorsqu’on connait par cœur les sujets qu’elle rabâche depuis près de 50 ans, sur les mêmes accords et sur tous les tons, du plus politisé au plus potache en passant par le plus efficace : celui qui pisse contre le mur sans se servir de ses mains. À ce niveau-ci, le seul moyen de remuer davantage le contenu de la casserole, c’est simplement de la balancer par la fenêtre d’un geste vif et précis. Pas besoin de réinventer la roue si on peut enrayer la machine en poussant les curseurs à leur maximum.
C’est entre autres pour ce genre de manœuvre kamikaze qu’on affectionne particulièrement les Lambrini Girls. Le duo de Brighton s’impose comme la représentation féroce d’une jeune garde qui ignore la pédale de frein et dont on a absolument besoin pour tenir le coup en cette période de réactionnite aigüe. Du bruit, du nerf, des poubelles en feu. Et aucune subtilité parce qu’on n'a vraiment plus le temps pour ça.
À la recommandation mesurée « when they go low, we go high », les Lambrini Girls auront tendance à répliquer « when they go low, we shoot them in the face ». La basse de Lily Macieira cloue au sol, le chant de Phoebe Lunny frôle le cri primal. Aucune pitié pour des cordes vocales qui viennent traquer les ennemis jusque dans leur lit. "Bad Apple" crache sur les violences policières et ceux qui tentent encore de leur trouver une justification. "Filthy Rich Nepo Baby" tacle les bien nés qui parasitent l’industrie en se reposant sur le portefeuille de papa. "Big Dick Energy" fait une clé de bras aux petits chibres qui s’imaginent plus gros que le bœuf. À chaque morceau sa victime même si cela suppose parfois de se confronter à ses propres faiblesses et contradictions ("No Homo", "Nothing Tastes As Good As It Feels" ou le splendide "Love").
Elles laissent également peu de place à l’allégorie. Tous les mots veulent dire exactement ce qu’ils veulent dire, histoire que le message soit clair et concis. On en trouve le meilleur exemple avec "Cuntology 101" qui célèbre l’un des termes que l’on envie le plus à la langue anglaise, avec une emphase toute particulière sur le C. Un C majuscule qui fouette les joues des petits juges de comptoirs et des podcasteurs en slip.
Ce jusqu’au-boutisme militant pourrait être épuisant s’il n’était pas aussi fun. La politesse du désespoir comme dirait l’autre. Parce qu’il y a aussi de quoi se réjouir : Who Let The Dogs Out est un premier album qui ne se contente pas d’agiter son petit poing dans le vide mais parvient à attirer le public dans la fosse avec des reflets pop et des coups de synthés inattendus. Entre la rage bordélique de Bikini Kill et l’activisme enjoué de Le Tigre, les Lambrini Girls appliquent les enseignements de Kathleen Hanna tout en leur imprimant leur propre rythme. Persiste le message initial : rassembler les troupes pour mieux repousser les imbéciles.