White Men Are Black Men Too
Young Fathers
Quel bordel! Entre les terroristes, la Manif pour tous, le FN et les pilotes d'avion suicidaires, on ne sait plus à quel saint se vouer. Et puis, voilà qu'un trio signé sur un label de hip-hop, mais qui ne fait pas vraiment du hip-hop, vient proclamer que les blancs sont eux-aussi des noirs. Comme si les choses n'étaient pas déjà suffisamment compliquées...
Ce qui est certain, c'est que sur leur deuxième disque, les Écossais de Young Fathers n'ont pas choisi la facilité. Ils auraient pu, pourtant. Leur premier album Dead a reçu pas mal de louanges et le Mercury Prize, l'air de rien. De quoi les lancer dans une carrière à la Dizzee Rascal et dilapider leur réputation dans une musique tantôt médiocre, tantôt putassière. Mais non, évidemment. Alors qu'en cette époque trouble, les gens ont juste envie de s'affaler devant le dernier épisode de Game of Thrones téléchargé illégalement, voilà qu'il leur prend l'envie de faire de la musique politique. Pire que cela: pas politique uniquement sur le propos, mais aussi sur la forme.
Ici, ni populisme de bas-étage pour flatter nos vils instincts ou nos envies de musique monolithique facile à consommer, ni consensualisme mou où, pour faire cohabiter différentes tendances, on les viderait toutes de leur substance. Dans White Men Are Black Men Too, au contraire, ça se bat: les percussions très marquées balancent des pavés sur la gueule de voix promptes à réciter des incantations chamaniques. Et quand les claviers s'en mêlent, c'est tantôt pour souligner au cocktail Molotov la puissance rythmique des titres, tantôt pour soutenir la mélodie d'accalmies plus pops. Le tout évoque bien sûr les premiers morceaux de TV On The Radio à cause de la voix et des structures alambiquées, mais aussi ceux de Saul Williams. Au centre de l'album, "Old Rock n Roll" pourrait quasiment être une référence à "List of Demands", pas seulement sur la forme, mais aussi dans l'intensité et le propos. Reste qu'on est bien face à un album pop. Ce sont les mélodies qui guident tant bien que mal l'armada indisciplinée de couches sonores parfois trop nombreuses. Les morceaux sont courts et ne passent pour la plupart pas la barre des 3 minutes. Ils vont à l'essentiel et finissent souvent par un cut brutal.
On va être honnêtes, dans tout ce bordel, il y a quand même des titres dont on pourrait aisément se passer ("John Doe" en particulier). Mais tous concourent à créer le sentiment d'urgence qui ressort de l'album. L'envie de dire les choses fort et vite, à défaut de respecter les formes. Le plus long titre du disque est aussi sa conclusion, l'excellent "Get Started" et sa montée tranquille, accompagnée d'un piano désaccordé qui martèle la rythmique quasiment blues. On espère que le morceau dit vrai, que tout ceci n'est qu'un début. Parce que bien plus que sur Dead, Young Fathers démontre ici qu'il a la matière pour devenir un groupe qui compte.