Where You Go I Go Too
Lindstrøm
Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerais présenter mes plus plates excuses à mon collègue et ami Simon, par ailleurs spécialiste maison des musiques électroniques déviantes et perverses. Ce disque de Lindstrøm, il m'avait fait part de son désir brûlant de le chroniquer. Et bien qu'il soit sorti il y a déjà quelques mois, l'exemplaire promotionnel de Where You Go I Go Too n’est arrivé qu’il y a quelques jours dans ma boîte aux lettres. A force de m’avoir bassiné avec la galette en question, ce qui devait arriver arriva. Plutôt que de gentiment laisser le disque dans son enveloppe plastique protectrice et de le filer à Simon dans les plus brefs délais, je me suis dit que je jetterais bien oreille distraite à un disque qui a récolté son lot de dithyrambes depuis sa parution au mois d’août. Résultat des courses : j’en connais un qui va être de la revue pour aller à la FNAC du coin se procurer son exemplaire du premier véritable album de Hans-Peter Lindstrøm – qui fait suite à quelques EP remarqués (notamment « I Feel Space ») et des remixes cosmiques pour LCD Soundsystem, The Juan McLean, Annie ou le panzer Franz Ferdinand.
En effet, Where You Go I Go Too est un disque énorme à plusieurs égards - au moins deux en tout cas. Il y a d’abord la qualité globale de l’ensemble sur laquelle on reviendra, et ensuite l’organisation de la chose. Pièce pantagruélique mais jamais indigeste d’une petite soixantaine de minutes divisée en trois chapitres (dont un premier volet épique et magistral avoisinant la demi heure), Where you Go I Go Too est un voyage sidéral et sidérant qui nous emmène dans les méandres de l’imagination touffue du petit prodige norvégien que rien ne prédestinait vraiment à accéder au trône de roi incontesté du space disco moderne. En effet, au magazine Chronicart, Hans-Peter Lindstrøm explique : « Mon premier rapport à la musique, c'est (…) Cindy Lauper, Wham, Grandmaster Flash, Fancy, Alphaville, Boney M, Nik Kershaw, la plupart de cette musique que j'écoutais à l'époque sonne toujours aussi bien pour moi. Ensuite, je me suis orienté vers le hard FM de l'époque (…) et puis j'ai joué dans un tribute band à Deep Purple, et je suis devenu obsédé par Jon Lord et l'orgue Hammond. Quand j'ai déménagé à Oslo il y a douze ans, je me suis pris de passion pour le folk, la country, et j'ai commencé à jouer dans la rue, le soir ».
Pourtant, découvrant progressivement les joies de la musique électronique avec son 8 pistes numérique et son ordinateur, le Norvégien a rapidement imposé sa patte: une musique rêveuse et profonde, qui s’en va puiser sa source chez les pionniers que sont Giorgio Moroder, Jean-Michel Jarre ou Manuel Göttsching. A ce titre, l’inaugural et magistral « Where You I Go Too » synthétise bien l’approche prônée par le copain de Prins Thomas, tout en dépassant tout ce qu’on pouvait imaginer à propos de Lindstrøm. Répétitif, évolutif et aux strates multiples, « Where you Go I Go Too » est un titre à l’énorme pouvoir évocateur, qui propulse de minute en minute l’auditeur vers une galaxie dont lui seul peut percevoir les contours. Et forcément, une fois cette expérience-là vécue, tout ce qui pourra suivre sur Where You Go I Go Too se devra d'être moins enthousiasmant. C'est certes vrai, mais cela n’empêche pas « Grand Ideas » et « Long Way Home » de tenir tête au titre d’ouverture. Moins longues (on avoisine ici la dizaine et la quinzaine de minutes) et donc forcément moins enivrantes, ces deux plages se bornent à achever le travail de sape entamé sur « Where You Go I Go Too » et, dans le cas de « Long Way Home », de nous ramener à bon port dans la douceur de loops crépusculaires et de nappes apaisantes.
Pour son premier album à proprement parler, le boss du label Feedelity ne déçoit pas et nous propose un disque qui risque fort de marquer les mémoires, notamment grâce à cet ‘instant classic' qu’est « Where You Go I Go Too ». Magistral.