WHEN WE FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO?
Billie Eilish
J’ai aujourd’hui un âge qui s’accompagne d’une certaine sagesse (à défaut d’une sagesse certaine) mais je peux vous l’affirmer : à 17 ans j’étais bête comme mes pieds. Pas méchant mais putain, bête. Et ça se voyait: dans la manière dont je m’habillais, dont je m’exprimais et dont je me positionnais par rapport à mes pairs, rien ne respirait vraiment la perspicacité. Ayant traversé la puberté à une époque où le smartphone n’avait pas encore été inventé, il ne reste que quelques photos pour attester du phénomène. Aujourd’hui, qu’on ne s’y méprenne pas : l’âge bête reste une terrible réalité, c’est juste que l’ado moyen peut se cacher derrière un look impeccable. Mais derrière le sweater Stone Island ou le tee Supreme se cache très souvent une intelligence défaillante, une propension à opter invariablement pour la plus conne des solutions et une quantité astronomique d’hormones sauvages.
Tout ça pour vous dire que quand on a eu un jour 17 ans, se prendre une Billie Eilish dans la tronche, cela vous renvoie à l’immensité de votre connerie d'antan. En effet, se dire que cette gamine de L.A. affole les compteurs sur les plateformes de streaming, est déjà prête pour contester le trône de la pop mondiale, et se permet de collaborer avec Vince Staples ou Rosalía, ça vous rappelle combien votre immaturité était abyssale à l'époque. Certes, on avait déjà eu un bon aperçu du talent de Billie Eilish sur son EP Don’t Smile At Me l’année dernière, mais on sait que le passage au long format relève souvent plus de l’écueil que de l’opportunité quand on est un artiste qui débute. Mais il était écrit que tout réussirait à Billie Eilish, et que pour y arriver, elle n’aurait pas besoin d’une armada de hitmakers pour briller - c’est son frère FINNEAS qui gère toutes les productions.
Espèce de croisement un peu improbable mais tellement efficace entre Lorde, Ariana Grande et une fan de Marylin Manson, Billie Eilish trouve le juste équilibre entre deux éléments essentiels à toute adolescence qui se respecte : l’insouciance et l’angoisse. Dans la bouche et la tête de l’ado lambda, cette guerre fratricide accoucherait d’un album au mieux bordélique, au pire insupportable. WHEN WE FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO? n’est rien de cela : qu’il tartine son amour des basses profondes sur des singles taillés sur mesure pour affoler les charts (« you should see me in a crown », « bad guy »), qu’il évolue dans le registre de la ballade touchante mais pas larmoyante (« when the party’s over), ou qu’il soit juste entre les deux (l’impeccable « xanny »), ce premier album touche sa cible, et répond à la question « ça ressemble à quoi un bon album de pop en 2019 ? » en n’oubliant pas de faire remarquer au passage qu’il sait aussi avoir un peu d’avance sur son époque. A star is born.