Void Ov Voices : Baalbek
Attila Csihar
Les quadras se souviennent peut-être de Gilles Gropaquet, personnage incarné par Antoine De Caunes dans Nulle Part Ailleurs, à la voix d’outre-tombe et obligé de porter son appareil reproducteur dans une brouette. L’avatar français de Barry White était censé illustrer une légende qui a la vie dure : chez un homme, une voix très grave serait synonyme d’un service trois pièces démesuré. Si tel était le cas, Attila Csihar devrait se loger les valseuses dans des calbutes de la taille d’un parachute.
Le vocaliste hongrois renseigne un cv à la hauteur de son gabarit de montagne épargnée par l’érosion : non content de pousser la chansonnette avec Mayhem depuis le légendaire De Mysteriis Dom Sathanas, il officie également régulièrement auprès de Sunn O))) où ses borborygmes caverneux feraient passer le mur de guitares de la paire Anderson – O’Malley pour de la flûte traversière. Comprenez : ce grand escogriffe peut compter sur un registre vocal littéralement monstrueux… et surtout monstrueusement grave. Quand la plupart des vocalistes de métal ont tendance à s’égosiller, un seul chuchotement de Csihar suffit à fendre des menhirs.
Dès lors, quand le géant hongrois annonce un album solo, on se doute bien qu’il ne cherchera pas à concurrencer Freddie Mercury. Sur Void Ov Voices : Baalbek, Attila Csihar compile deux sessions d’enregistrement réalisées sur le site préhistorique de Baalbek au Liban. Solidement perché au sommet du monolithe le plus imposant de l’histoire humaine, il y a enregistré des boucles de voix appelées à entrer en résonance avec la charge historique, mystique et émotionnelle du lieu. Il y empile des chuchotements et autres grognements étouffés qui reflètent sa fascination pour une ingénierie antique qui dépasse l’entendement. Comment l’Homme a pu déplacer des pierres aussi gigantesques reste toujours un mystère.
Le résultat s’étale sur deux longues plages de plus de 20 minutes chacune, qui rappellent que même les métalleux les plus extrêmes sont capables d’intégrer une dimension hautement spirituelle dans l’approche de leur art. L’ensemble s’écoute comme une longue transe méditative, un appel au voyage intérieur pour mieux se couper d’un monde dénué de sens. Livrée dans sa version la plus brute, la voix d’Attila Csihar décortique avec soin toutes les nuances d’un registre ultra grave qui semble bien plus lourd que les 900 tonnes de caillasse sur lesquelles elle a été captée. Il est ici plus question de sons que de musique : un moment à expérimenter seul·e face à soi-même, de préférence le volume poussé à fond, et qui, pour se purger l’esprit, s’avérera bien plus efficace que les injonctions de Petit Bambou.