Viva la Vida or Death and All his Friends

Coldplay

EMI / Parlophone – 2008
par Splinter, le 24 juin 2008
8

Au grand dam de ses millions d'adorateurs, Coldplay est devenu depuis quelques années l'un des sujets de railleries préférés des commentateurs autorisés, tant et si bien que, dans les soirées mondaines, l'aveu de son goût pour le groupe de Chris Martin constitue bien souvent une perche tendue à tous les quolibets. Le fan de Coldplay est, au mieux, quelqu'un qui n'y connaît rien à la pop, voire, dans le pire des cas, un abruti qui n'a aucun goût – en tout état de cause, quelqu'un qui gagnerait à écouter "autre chose". Les membres du groupe, eux, n'ont cure de ce snobisme ambiant.

Toujours déterminés à devenir le nouveau U2, c'est-à-dire le plus gros groupe du monde, ils frappent un grand coup pour leur quatrième album en allant chercher ni plus ni moins que le producteur Brian Eno, artisan, avec Daniel Lanois, du son caractéristique des Irlandais dans les années 80 et 90. La patte d'Eno est ainsi particulièrement visible sur cet album, en particulier sur un titre comme "Cemeteries of London", dont les champs de guitare rappellent instantanément le U2 période The Unforgettable Fire (1984) et The Joshua Tree (1989), ce qui n'a rien de désagréable, loin de là, ces deux disques étant d'ailleurs généralement considérés comme des monuments du rock des années 80.

Placé sous le signe de la révolution, comme en témoignent à la fois son titre, Viva la Vida, inspiré d'un tableau de la Mexicaine Frida Kahlo, et la peinture du Français Eugène Delacroix qui orne sa pochette ("La Liberté Guidant le Peuple", bien connue notamment pour avoir illustré les billets de 100 francs pendant des années), ce nouvel album de Coldplay, qui forme d'ailleurs une boucle (une révolution, donc), n'est pas très éloigné dans sa démarche de ce qu'a pu tenter de faire Travis avec également son quatrième opus, 12 Memories (2003), en optant pour un son moins policé que par le passé et en cherchant une énergie nouvelle. Bien entendu, Coldplay n'est ni Radiohead ni Guillemots ou Vampire Weekend, ce qui signifie qu'il ne faut pas s'attendre ici ni à des chansons teintées d'électronique ni même à un gros foutoir musical.

Cependant, lorgnant sans complexe vers Arcade Fire ("Lost!"), Chris Martin n'hésite pas à aplanir son chant, à mettre de côté ses jérémiades habituelles, à s'ouvrir à de nouveaux horizons musicaux (cordes arabisantes sur "Yes", dont la seconde partie est encore très U2esque ; un instrumental en ouverture avec "Life in Technicolor" ; claviers eighties sur "Viva la Vida") et à tenter l'aventure en enregistrant non pas en studio mais dans une église, une boulangerie ou un magasin de magie (!), ce qui, d'une manière ou d'une autre, se ressent à l'écoute de chacun des dix morceaux présents ici.

Digne rejeton d'une discographie impeccable et exemplaire, Viva la Vida or Death and All his Friends (son titre complet) est un album de très bon niveau, plus abrupt et escarpé que les précédents X&Y (2005) et A Rush of Blood to the Head (2002), plus varié aussi, sans faire preuve non plus d'une audace démesurée. Une révolution de poche, donc. Composé comme d'habitude d'excellents morceaux, parmi lesquels figurent notamment "Lost!", déjà cité, l'étonnant diptyque "Lovers In Japan / Reign Of Love" (deux morceaux totalement différents mixés en un seul), qu'Elbow ne renierait pas nécessairement, "Violet Hill", le premier single (très efficace), ainsi que "Viva la Vida", dont la beauté fait quelque peu oublier le côté foncièrement cucul de son titre, ce disque ne fera certainement pas changer d'avis tous ceux qui tirent à vue sur Coldplay mais ravira tous ceux qui les suivent depuis Parachutes (1999), c'est-à-dire les amateurs de jolies mélodies à la recherche de la perfection pop, tout en ralliant à sa cause les obsédés des morceaux déstructurés, où tout peut arriver. Au final, un disque suffisamment surprenant pour se dire que, révolution ou non, Coldplay ne tourne pas en rond.

Le goût des autres :
7 Jeff 7 Julien 5 Romain 8 Popop 5 Laurent