Virtue
The Voidz
Il suffit de voir une fois dans sa vie le portrait d’un Marc Dutroux pour saisir toute la connerie et la bien-pensance dissimulées derrière l’aphorisme « l’habit ne fait pas le moine » - maxime dont les plus fidèles défenseurs semblent paradoxalement les plus probants exemples. D’autant que le déterminisme entre génotype et phénotype réfuté par ce proverbe à la con semble n’avoir jamais été aussi évident qu’à l’étude du cas Julian Casablancas, que ce soit par le prisme de sa garde robe ou par celui de son IMC et de son hygiène corporelle.
Car depuis qu’il traîne avec ses nouveaux potes mi-hispters mi-clodos de The Voidz et tandis que son organisme s’apparente de plus en plus à un amas de cellules adipeuses surmonté d’une tignasse aussi ragoutante qu’une cuvette de station service, Julian Casablancas montre une réelle ambition de repousser les limites de l’extravagance, quitte à se délester au passage d’une bonne partie de ses fans de la première heure. Fans qui, d’ailleurs, n’hésitent pas à ranger leur objectivité au placard et à croquer les couilles de quiconque émet encore quelques doutes quant aux bizarreries analogico-acides d’un Tyranny toujours aussi peu écoutable - si ce n’est l’ultra-violence éjaculatoire de "Where No Eagles Fly".
Heureusement, personne ne se fera grignoter les gonades aujourd’hui, puisque cette bande de crasseux ne peut être qu'encensée par l'auditeur ayant pris la peine de décortiquer le bordel de ce Virtue magistral. En effet, même si Julian Casablancas semble toujours vouloir fuir un succès auquel il est fatalement condamné, il semble dorénavant complètement maître de son sujet auquel il confère alors pour la première fois une totale crédibilité. Malgré son apparence relativement indigeste donc, Virtue est une réussite d’autant plus tranchante qu’elle n’est jugulée par aucune forme de concurrence ou de conformité, et s’affranchit de ce fait d’à peu près toutes les étiquettes qu’il serait tentant de lui coller au cul.
Véritable cauchemar pour l’apprenti scribouillard en slip derrière son PC, Virtue coche à peu près toutes les cases du grand album, du genre de celui qu’on ponce jusqu’à en connaitre toute la granulométrie. Car chaque membre du groupe maîtrise suffisamment son domaine de compétence pour jouer aux apprentis alchimistes, et ainsi varier des ambiances allant bien du gros punk sordide d’un "Black Hole" au flegme FM et déconstruit de "My Friend The Wall", en passant par le hard rock pompeux à la Chinese Democracy ("Pyramid Of Bones"). Un Chinese Democracy que The Voidz a dû sacrément décaper tant l’analogie semble évidente vu la production plus luxuriante que jamais, empilant couche sur couche de bizarreries bruitistes et synthétiques.
De quoi tisser un tapis de velours sacrément alambiqué donc, sur lequel un Julian Casablancas transhumanisé car plus vocodé et autotuné que PNL et Future réunis, n’a plus qu’à poser des mélodies toutes entêtantes qui achèvent de pousser la déshumanisation à son paroxysme. Pour autant, au sein de ce déluge dissonant, The Voidz démontre aussi que ses membres n’en oublient pas de maîtriser leurs fondamentaux sur le très beau "Think Before You Drink", point d’ancrage d’un album de naufragés dérivant sur un océan d’expérimentations. Logiquement introduit en milieu d’album, le titre est d’ailleurs d’autant plus touchant que Julian Casablancas parvient à s’insurger contre les dérives de notre siècle en parlant des litrons de lait maternel qu'il a ingurgité.
En fin de compte, ce Virtue équivaut à regarder d’un bon vieux Jacquie et Michel après s’être farci les enfantillages de 50 Nuances de Grey, dont Tyranny serait l’équivalent : le sujet y est incroyablement plus maîtrisé, les acteurs bien plus radicaux, le plaisir démultiplié. Virtue fait bander dur donc, surtout qu’il inscrit finalement ses géniteurs dans une position de choix sur un échiquier musical au sein duquel personne ne semble s’affranchir autant des conventions et des codes, et où nul ne paraît davantage déterminé à l’expérimentation et à l’ouverture des frontières. Difficile à concevoir pour un groupe dont le chanteur était quelques années auparavant l’un des minets les plus séduisants du rock jeu, mais qui, au vue de sa décrépitude stylistique et de ses pérégrinations musicales, semble plus déterminé que jamais à envoyer chier tous les nazis de la bien-pensance. Take it or leave it.