Viet Cong
Viet Cong
Ce premier album de Viet Cong, c’est un peu un condensé de tout ce que l’on attend de la part d'un groupe de rock aujourd’hui. Sans malheureusement le trouver dans la grande majorité des cas. Pas nécessairement une originalité débordante - les tables du rock ont été gravées il y a bien trop longtemps maintenant. Mais cela ne devrait pas dispenser les jeunes formations de s’y replonger, histoire de ne pas tomber dans l’admiration du veau d’or, où comment on a parfois (souvent ?) l’impression d’entendre un plan de carrière déjà préétabli à l’écoute de certains premiers albums. On ne sait pas si Viet Cong est allé jusqu’au Nouveau Testament, mais il est certain que ces gars-là ont lu l’Exode. Et que nous dit le Décalogue mes bien chers frères ? Prends des risques. Ne reste pas dans la zone de confort. Joue avec ta tête et tes tripes. Ne fait pas d’intro si tu n’as pas besoin de faire d’intro. Ne fais pas de pont si tu n’as pas besoin de faire de pont. Envoie la sauce si tu as envie d’envoyer la sauce. Ne mets pas six mois à enregistrer ton putain de premier album. Ne te pose pas de mauvaises questions, pose-toi les bonnes. Dis quelque chose quand tu as quelque chose à dire. Sinon ferme-là.
Viet Cong c’est donc un peu tout ça, le tout précédé d’une grosse grosse montée d’œufs en neige qui, on vous le promet, est pour une fois quasi justifiée (on reviendra sur le « quasi » tout à l’heure). Si on était passé complétement à côté de l'EP Cassette édité par Mexican Summer en 2014 (comme bon nombre de personnes...), ce premier album éponyme semble laisser tout le monde sur le cul, nous inclus. Il y a un sens bluffant de l’urgence, de l’effervescence, de la prise de risques donc. Une sève fraîche et une fertilité si rares que ce qui semble si évident de prime abord n’en reste pas moins inaccessible pour beaucoup de groupes qui ne passeront jamais le cap de l’intention.
Si les membres du groupe ne sont pas des débutants (le bassiste/chanteur Matt Flegel et le batteur Mike Wallace jouent dans Women), la fougue du jeune premier semble irriguer chaque minute de ce disque. Est-ce dû au parcours chaotique de leur précédent groupe? Pour rappel, des tensions et une baston sur scène qui mettent fin à l’aventure, puis deux ans plus tard le décès dans son sommeil du guitariste-chanteur Christopher Reimer. Il en aurait fallu bien moins à la plupart pour plier l’affaire et s’en aller élever des chèvres au fin fond de la campagne. Toujours est-il que si urgence il y a, Viet Cong semble avoir un sérieux penchant pour les lignes obliques. Ou comment aller d’un point A à un point B en passant par la lettre T. Rien d’artificiel ici, juste un langage et une vision du monde qui semblent propres au groupe, une attitude à la fois extrêmement réfléchie et pourtant presque instinctive. Là où leurs compères de Ought sont plus bavards et cérébraux (ce n’est pas une critique), Viet Cong travaille à la serpe, cultive le haïku et possède une noirceur et une étrangeté fascinantes à l’image des clips illustrant les tornades « Continental Shelf » et « Silhouettes ». Le reste de l’album ne joue pas cette carte et préfère parcourir des territoires différents, à la fois arides et polaires, métalliques et ensablés comme sur l’introductif « Newspaper Spoons » et les 6 minutes de « March of Progress », étonnante de dépouillement et d’inventivité sonore.
Alors comment définir le groupe ? On ne s’y risquera pas. Le terreau est clairement post-punk, ça ne fait aucun doute. L’influence indus est également bien présente, ainsi qu’un goût marqué pour les guitares tranchantes du post-hardcore et des lignes de basse que n’aurait pas renié le Barry Adamson de Magazine, le tout saupoudré de claviers que l’on n’ose même plus espérer chez The Horrors. Tout ce qu’il manque au groupe finalement c’est une présence scénique à la hauteur de leur musique. C’est le seul bémol que l’on émettra donc ici, car si le groupe était une vraie bête de scène (ce qu’on lui souhaite de devenir), il y en pas mal qui pourraient se renseigner sur l’élevage de chèvres. Vous l’aurez compris, l’année commence fort et vous pouvez sans risque vous jeter sur cet album qui en 36 minutes à peine vous dira tout le gospel et plus encore.