Victory For The Comic Muse
The Divine Comedy
Ce qui est difficile lorsque l’on fréquente le merveilleux monde de la musique indépendante, c’est de rester à la page. Savoir quel artiste est cool, quels types de musique et de coupe de cheveux sont dans le vent, quels styles ou groupes sont complètement à côté de la plaque… bref, il faut suivre les humeurs du milieu. C’est d’autant plus difficile que ça change très vite et qu’il n’y a absolument aucune logique. Un jour tout va bien, le lendemain c’est la catastrophe. Il faut arracher en pagaille les badges, immoler la moitié de sa discothèque, renouveler sa garde-robe (parce que souvent tout est lié) sinon on passe pour le vieux ringard de service. « Salut winner, au revoir loser », comme qui dirait. En fait, je me faisais cette réflexion l’autre jour en apprenant au détour des pages d’un magazine (que je me garderai bien de nommer) que The Divine Comedy était irrémédiablement passé de mode. Pour le fan de la première heure que je suis, comprenez donc le choc. L’un des mes groupes favoris est has been. Donc, selon la théorie des vases communicants, je suis has been. Certes je m’en doutais depuis quelques années déjà, mais ça fait toujours mal de le lire écrit noir sur blanc dans une feuille de chou.
Pendant de longues minutes, je traversais alors une profonde crise existentielle. Renier ou ne pas renier, telle était la question… L’instinct me disait de ne rien lâcher mais la hype me toisait du regard, attendant le moindre faux pas pour m’apposer l’irrémédiable sceau du loser. Quand soudain, cachée quelque part entre la raison et la folie furieuse, me parvint cette interrogation judicieuse : mais renier quoi au fait ? L’image kitsch du groupe pointée du doigt dans l’article incriminé ? Eh, faut se réveiller les gars, ça fait dix ans que Neil Hannon a arrêté les conneries, les duos avec Valérie Lemercier et les hymnes aux chemins de fer britanniques. Aujourd’hui le bonhomme se prendrait plutôt pour la réincarnation du Scott Walker de la fin des années 60 - l’original étant parti dans une autre galaxie pour jouer les avant-gardistes. Et puis c’était pas si mal que ça le kitsch revisité façon pop anglaise, même s'il faut bien avouer que l’aparté sérieux de Regeneration (avec look néo-grunge et production de Nigel Godrich à l’appui) et les poses de crooner de Absent Friends ont une autre classe.
J’en étais là de ma réflexion lorsque parvint jusqu’à mes oreilles ce huitième album studio, au titre en forme de clin d’œil à Fanfare For The Comic Muse, tout premier mini-album de The Divine Comedy, datant de l’époque où le groupe était encore un trio et pas le projet du seul Neil Hannon. Et là, dès la première écoute, tout fut clair : je ne renie que dalle ! Kitsch, pas kitsch, sérieux, pas sérieux, pompeux, pompier, pompiste, grandiloquent, mégalo, tout ce que vous voulez, mais y’a pas moyen que je renie ce type et sa musique. Et surtout pas avec un album de ce calibre-là, qui se permet de piocher allègrement dans chacun des albums précédents pour en tirer le meilleur : un peu de rock servi par une sacrée ligne de basse ("To Die A Virgin", single obligatoire à venir), un peu de folk ("A Lady Of A Certain Age", presque sobre), beaucoup de pop ("The Light Of Day", lumineuse ballade estivale) et bien sûr énormément de violons ("Party Fears Two", reprise de The Associates). Bref, que du solide !
Si le début du disque, clinquant, malin et aguicheur, fait les yeux doux, ce sont les quatre derniers titres qui concluent et emballent leur proie à grands coups de palots langoureux. D’abord "Arthur C. Clark’s Mysterious World" joue la carte de la décontraction et de la nonchalance avec ses trompettes et ses mariachis, pour une approche tout en subtilité. Ensuite "The Plough", sans doute le meilleur titre jamais écrit par Neil Hannon, dramatise l’ambiance avec élégance pour mieux capter l’attention. Puis c’est au tour de "Count Grassi's Passage Over Piedmont" de rassurer et d’hypnotiser en proposant de prendre un dernier verre au bar - en tout bien tout honneur - jusqu’à ce que la tête commence à tourner avec ces voix, chantées et parlées, qui résonnent à l’infini. Enfin, sous le charme, "Snowball In Negative" porte l’estocade finale et emmène sa proie discrètement à l’abri des regards. Bref, vous l’aurez compris, je ne me pose plus aucune question et je finirai donc cette chronique en faisant mon coming-out : je suis has been et putain j’aime ça !