Veronica Falls
Veronica Falls
Le revival nineties s’amorce déjà que le revival eighties n’en finit plus. Quand on y réfléchit bien, ça a dû commencer avec Interpol et sa relecture moderne de Joy Division et des Chameleons UK. Ensuite ça ne s’est plus arrêté. Tant et si bien que dix ans plus tard, on y est encore comme en témoigne par exemple le récent album de The Drums, Portamento.
En fait, en musique comme dans la plupart des formes artistiques, on n'est plus dans la rupture depuis quelques années. On serait bien en peine de distinguer des mouvements émergents (à part peut être le dubstep ou le drone) vraiment représentatifs d'un nouvelle esthétique ou cultivant le nihilisme par rapport à leurs aînés. En revanche, on observe deux tendances : le revival, l'inscription dans une tradition plus ou moins modernisée d'un genre ou courant musical passé, et d'un autre côté les musiques transgenres qui mixent et assimillent différentes traditions musicales. Internet y est sans doute pour beaucoup. Du coup, difficile de dire si l'on se trouve dans le passé, le futur ou le présent perpétuel, et difficile aussi de dire ce qu'il restera de tout cela, et si cette période marquera l'histoire de la musique comme ont pû la marquer les révolutions qu'ont été l'apparition du punk, de la techno et des musiques électroniques, du rock alternatif (quand ce terme avait un sens), ou encore plus récemment du grunge (même si là l'étiquette se discute) ou du post-rock.
Dans ce contexte, un album comme celui de Veronica Falls produit inévitablement une double impression paradoxale : à la fois un sentiment de déjà vu-déjà entendu, et en même temps une sensation extrêmement rafraîchissante. Car bien entendu, on la connaît cette formule. Et on est obligé de penser aux Pastels, aux Vaselines ou aux Raincoats, et dans une certaine mesure, notamment pour les voix, aux Breeders ou à Lush. L'appareil en question est classique : des guitares au son clair très légèrement saturé, une basse qui soutient en renfort, et une batterie qui a été à l'école Moe Tucker. Parfois les guitares s'emballent et se lancent dans une cavalcade à bride abattue en dignes héritières des premiers albums du Wedding Present, quand elles ne jouent pas des arpèges qu'on croirait tout droit sortis d'un album de chez Sarah Records. Là dessus se posent les voix délicieusement indolentes de Roxanne Clifford et des deux garçons du groupe (Patrick Doyle et James Hoare) qui ne sont pas sans rappeller plusieurs des groupes sus-cités. Vous allez penser que ça fait beaucoup de références à porter sur les frêles épaules d'une jeune groupe. Et pourtant tout ceci est mené par une volonté et une innocence qui ne sent pas la naphtaline, mais plutôt la vivifiante fraîcheur des forêts d'Ecosse par un matin de printemps ensoleillé (enfin du moins c'est l'image que l'on s'en fait). On sent bien ici que l'on n'est pas dans des poses et un opportunisme de bon ton, mais dans un son, une esthétique à la fois réfléchis et spontanés. Le groupe bien qu'évoquant tous ses glorieux aînés arrive à trouver sur toute la durée de l'album un son propre et une identité tout de suite identifiable.
La description candide et romantique de l'amour qui ressort comme un des thèmes centraux à l'écoute de l'album renvoie aux premiers émois et à cette vision idyllique du sentiment amoureux que l'on a tous ressentis, et on pourrait alors tomber dans les pires travers de la twee pop. Il n'en sera rien, bien au contraire. On se surprend à ressentir les mêmes émotions qu'à l'écoute des premiers Belle And Sebastian ou The Field Mice. Le sentiment n'est pas encore corrodé par les complexités de la réalité et garde en cela une puissance émotionelle qui touche dans le mille, à savoir en plein coeur. Tout est dit dans dès le morceau d'ouverture : "Found Love In A Graveyard" (qui peut d'ores et déjà concourir dans la catégorie meilleur titre de morceau de l'année). Comment ne pas succomber ensuite aux douceurs que sont "Right Side Of My Brain", "The Fountain", "All Eyes On You" ou "Wedding Day" ? Mention spéciale également à "Stephen", petite perle parmis les perles dans laquelle les voix masculines et féminines s'entrelacent sur une mélodie absolument magnifique. L'autre tour de force de Veronica Falls est d'arriver à ce que tant de groupes cherchent sans y parvenir. Ecrire des chansons simples, immédiates, de petites pop-songs parfaites qui n'ont pas à rougir la comparaison avec les classiques du genre. En somme des standards intemporels. Car quid des nouvelles sensations estampillées meilleur groupe du monde de la semaine dans dix ou vingt ans ? Sans doute pas grand chose, ou alors dans les bacs des soldeurs si tant est qu'il en existe encore d'ici là.
Ce qui restera en revanche, et ça c'est sûr, ce sont les bons albums, révolutionnaires ou pas. Les premiers albums des Strokes ou d'Interpol n'avaient rien de révolutionnaire, et pourtant ce sont déjà des classiques incontestables. L'album de Veronica Falls est presque de cette trempe-là, et finalement peu importe qu'il ait été enregistré en 2011 ou en 1986. En fait, peut-être ne sommes-nous jamais rééllement sortis des années 80, peut-être sommes-nous restés bloqués en 1983. D'ailleurs vous entendez ? La sonnerie vient de retentir, il est temps de rentrer en classe tandis que Mitterand nous annonce le tournant de la rigueur.