Vaudeville
Inigo Kennedy
Tout aura été fait pour m'éviter d'écrire cette chronique : rédiger des news, gérer des Goute Mes Mix, se fendre d'une chronique ou deux, sans compter les tentatives de refourguer le bébé au rédac' chef adjoint et dire une bonne dizaine de fois que la chronique « arrivait sous peu ». Mais malgré toutes ces feintes, rien n'y fait, la procrastination a ses limites. Procrastination il y a eu car, une fois la mandale reçue, il a fallu douloureusement tenter de décrypter la force mystérieuse qui se cachait derrière Vaudeville. Après moult tentatives infructueuses, et de nombreuses heures les yeux rivés sur une page qui restait irrémédiablement blanche, il était temps de s'attaquer à ce très grand disque offert par Inigo Kennedy.
Vous allez nous demander pourquoi il aura fallu tant de temps pour voir arriver la chronique d'un album sorti en avril dernier. La réponse se trouve dans le disque. Vaudeville est un des albums les plus vicieux qu'il nous ait été donné de chroniquer. Car sous son apparent classicisme se cache un objet d'une intelligence et d'une finesse rarement atteintes. Les premières écoutes laissent un goût étrange, comme l'impression de passer à côté de quelque chose. Vaudeville égratigne plus qu'il ne marque au fer rouge. Les écoutes se sont donc enchaînées à un rythme soutenu sans jamais vraiment percer le secret de ce cinquième effort d'Inigo Kennedy. Le producteur britannique se la joue Arsène Lupin de la techno et arrive insidieusement à réussir un hold up magistral en injectant de l'émotion là où on l'attend le moins. C'est dans ce contre-pied permanent que se forge toute l'identité de Vaudeville. Pour mieux nous faire avaler la pilule, Inigo Kennedy cache une musique profondément mélancolique et subtile derrière l'apparente rigidité de la techno. Cette pudeur excessive permet d'obtenir une œuvre tout en retenue et en suggestions qui permet de magnifier une musique peu habituée aux effusions sentimentales. L'album égrène ses dix titres avec un sens de l'équilibre déconcertant: rien ne vient jamais gripper la belle mécanique que l'Anglais construit avec patience. Titre après titre, l'atmosphère de déchéance se fait de plus en plus palpable : « Lullaby » et « Winter » sont à cet égard les deux morceaux archétypiques de cette inexorable chute.
A rebours de l'époque actuelle, Vaudeville est donc un disque qui se découvre patiemment, et qu'il faudra apprivoiser au gré de nombreuses écoutes si l'on veut commencer à percer la beauté de ce qui apparaît comme l'un des tous grands disques de techno de l'année.