Variations
5 Majeur
Il ne faut pas être un fin observateur pour réaliser que le rap français est malade. Et ce n'est pas un petit rhume qui le tracasse. Plutôt un vilain coronavirus qui envoie chier les antibiotiques. Le double H hexagonal peine en fait à retrouver cette vitalité folle qui le rendait si indispensable il y a une dizaine d'années encore, qui lui permettait de rivaliser à l'envahisseur américain sur ses terres. Aujourd'hui, entre les vieilles gloires qui courent après leur passé (quand elles n'ont pas sombré dans l'oubli), une scène alternative bouillonnante qui chasse un succès commercial suffisant pour garantir sa pérennité et quelques poids lourds qui utilisent le son américain comme un cache-misère, il n'y a pas grand chose de bien bandant à se mettre sous la dent.
Et le cas 1995 est la plus belle illustration de ce triste état de faits: sous perfusion 90's, la musique des Franciliens divise et polarise là où un Joey Bada$$, qui adopte pourtant des poses similaires, fait davantage l'unanimité outre-Atlantique. Et quand bien même il ne la ferait pas, l'amateur ricain de hip hop n'a que l'embarras du choix – et celui-ci ne se limite pas aux cinq mêmes noms qui font en permanence tourner la planche à billets. En France, cette offre qualitative est tellement limitée que le moindre truc qui sort un tant soit peu des sentiers battus drague son lot de débats à la con qui déplace l'exercice sur le terrain du débat stérile plutôt que du côté de l'écoute attentive.
Alors forcément, les arguments qui ont été avancés par les détracteurs de 1995, on va nous les ressortir rapidement avec cet album de 5 Majeur, projet au sein duquel on retrouve notamment un certain Nekfeu, probablement séduit par le velléités revivalistes de ses camarades Hunam, Heski, Vidji et Keroué. En effet, pour ceux qui n'auraient jamais écouté l'EP gratuit qui avait placé le crew sur la carte du hip hop français, le 5 Majeur est une sorte de culte à la gloire de DJ Premier, Pete Rock, Eric B. ou Stetsasonic. Des mecs dévoués à la cause, à qui il ne viendrait probablement jamais à l'idée de virer Dirty South ou Trap. Le rap old school est pour eux une sorte de profession de foi, et surtout un bastion à défendre.
Dans cette optique, les mecs font plus que tirer leur épingle du jeu. L'ambiance générale est généralement très laid back, ça sent bon le "peace, unity, love and having fun" si cher à Afrika Bambataa et ça vient poser son flow dans un beau bordel organisé. Et même si un Nekfeu fait involontairement figure de star, on sent clairement que le projet fonctionne sur un principe d'équité pure et dure. Ce qui est à la fois la force et la faiblesse de Variations. En effet, tout bon crew se doit d'être composé de personnalités uniques, de grandes gueules ou de mecs un peu à l'ouest du game pour vraiment exister – il suffit de regarder le Wu-Tang Clan, A Tribe Called Quest ou Public Enemy. Et tandis qu'un Nekfeu est une identité forte au sein de 1995, l'élément essentiel permettant à un équilibre instable de fonctionner, il se fond ici dans la masse, au même titre que ces quatre comparses. Quand la production est aux petits oignons comme sur le premier single "Coup d'pouce" ou sur les remuants "A juste titre" et "Gère tes affaires", cela ne gêne pas le moins du monde. Par contre, quand les beats deviennent un peu plus anodins, il manque un mec capable de dynamiter le morceau et de tirer le reste de la bande vers le haut.
Ceci étant dit, malgré cette uniformité un peu coupable et quelques longueurs ci et là, ce premier album du 5 Majeur flaire bon le DIY et la bonne humeur. Un disque dont certains en manqueront pas de souligner l'inutilité en 2013. On leur répondra, non sans une certaine ironie, que "les vrais savent".