Variance
Jega
Si je vous demande de me citer quatre noms de la pop mainstream, votre instinct ne fera qu’un tour et me sortira quelque chose du genre Madonna, Prince, Michael Jackson et Kylie Minogue. Logique. Si je vous demande maintenant de me citer quatre grands noms de l’electronica des 90’s, tout aussi immédiatement, votre langue ne fera qu’un tour et prononcera ceux d’Autechre, Aphex Twin, Boards of Canada et Squarepusher. Tout aussi logique. Mais en marge de ces quatre warpiens incontournables (malgré le temps et quelques déceptions), il faut faire la place à un cinquième larron, dont la discrétion assumée ne devrait jamais nous faire oublier qu’il a participé de manière significative à la grande histoire de l’electronica/IDM au cours de la dernière décennie. En effet, si vous ne connaissez pas Jega, sachez que l’Anglais a porté ses plus belles pièces au sein de labels aussi recommandables que peuvent l’être Skam ou Planet Mu. Mais plus encore qu’une vulgaire question de label, c’est avant tout une question de vision qui fait de Jega un musicien exceptionnel.
La génération de Jega et consorts est celle du post-acid, celle du glitch intensif, là où le travail minutieux sur les textures rimait encore avec créativité sans borne. Les chefs-d’œuvre n’ont cessé de pleuvoir et Jega eu droit à son heure de gloire avec un Geometry faisant encore figure aujourd’hui de cas d’école. Mais en 2009, le temps des cerises est bel et bien fini et les frasques électroniques d’antan n’ont plus nécessairement la même retombée sur nos esprits. Adieu roulements à bille, samples atrophiés, inversions hydrauliques et ritournelles sado-maso. Alors, comme une dernière provocation, le Mancunien Dylan Nathan nous revient avec dix-huit titres compilés sur deux albums (qui ne sont finalement que la version définitive d’un album leaké en 2003). L’un représente la lumière, et traverse des paysages bardés de claviers vintage nous rappelant fortement les émois « Boards-of-Canadesques » qui ont taillé notre enfance musicale. Ajoutez par ci une rythmique quelque peu dubstep (le superbe « Antiphon ») ou hip-hop (majoritaire ici) par là une guitare basse et quelques légères déflagrations sonores et vous obtenez sans trop de surprise une première galette coincée entre un post-Squarepusher et quelque chose de hautement personnel.
Si la première plaque est pleine de bons et joyeux (tout est relatif) sentiments, la deuxième est assurément plus obscure et plus menaçante. Montée également en neuf titres pour une demi-heure de déconstruction, le Vol.02 transige entre la beauté d’un Aphex Twin époque Hangable Auto Bulb et le synthétisme technique d’un Drukqs, le côté terriblement rythmique d’un Christoph De Babalon et le radicalisme forcené d’un Venetian Snares. Et ça marche plutôt bien, abstraction faite qu’une fois de plus les habitués n’y verront là qu’une réalisation, habile certes, d’un son découvert il y a longtemps maintenant. Tout le paradoxe de Variance est couché là : on voudrait s’y perdre, on y arrive souvent, mais la tournure que prennent ces dix-huit titres est connues d’avance et le sentiment d’anticipation est quasi-nul voire inexistant. Un classique du genre qui n’apporte rien ou un disque banal au talent fou, voyez ceci comme vous le voudrez. Recommandé.