UNLOCKED
Denzel Curry & Kenny Beats
A l’heure où les grosses sorties produisent plus de hype lorsqu’on les attend que lorsqu’il s’agit d’enfin les écouter, on ne s'étonne pas vraiment qu'un projet sorti sans le moindre effet annonce, bien qu'il s'appuie sur la présence de Denzel Curry, ait été complètement passé sous silence. Pourtant, le rappeur de Floride a largement dépassé son statut de rookie du Raider Klan pour se muer en vraie rockstar des années 2010 ; et le projet est intégralement produit par Kenny Beats, ancien prêcheur de l’EDM reconverti en beatmaker hyperactif et qui a déjà démontré tout son talent sur des format court – une écoute du FM! de Vince Staples vaut mieux qu’un long discours.
Avec ses dix-sept minutes au compteur, UNLOCKED n’a pas l’ambition de jouer le cousin pauvre de l’excellent dernier disque de Curry : il veut plutôt emmener le MC sur des terrains marécageux, histoire de prouver qu’il n’est pas qu’un Super Saiyan bon à bouger les foules, mais aussi un fieffé technicien façon Tortue Géniale sûr de lui lorsqu’on l’emmène sur des territoires plus boom bap. Dans le droit fil d'un ZUU placé sous l’angle de la destruction massive et de l’hyperspontanéité, UNLOCKED n’a pas non plus l’intention de freiner le rappeur de Carol City sur sa folle lancée : c’est le genre de projet sur lequel on se plait à penser qu’une seule session aura suffi à envoyer bien assez de steak pour que les deux parties soient amplement satisfaites du travail fourni.
Par contre, s'il y a bien une constante entre les deux projets, c'est la vigueur intersidérale du MC derrière le micro, qui sacrifie la prod avec la dalle d’un taulard et une énergie qu’on avait peut-être plus vue depuis Zack De La Rocha. Loin des pilules protéinées et du parfum d’émeute de ZUU, ce court format sent plutôt le fromage d’herbe et cultive un certain goût pour le psychédélisme : on y croise des voix bizarres façon Quasimoto (l'alias à l'hélium de Madlib), une galerie de prods toutes plus insaisissables les unes que les autres, et tout ça à un rythme à ce point soutenu qu’on a l’impression persistante de se faire marcher dessus par un troupeau de gnous. Pour autant, la forme ne sacrifie pas le fond : UNLOCKED est un projet suffisamment plein et équilibré pour rappeler au monde qu’en définitive, un bon disque de rap n’a pas besoin de plus de vingt minutes pour nous garder en haleine et générer de la replay value. C’est dire s’il méritait bien ses trois petits paragraphes.