Une Nouvelle Chance

La musique d’ascendant vierge a vraiment quelque chose d’unique. Ce n’est pas qu’on manque d’improbables mélanges de genres en 2023, ni que le duo révolutionne la musique électronique ou la chanson, mais bien plutôt que ce mix apparaît, morceau après morceau, comme une véritable évidence. Pourtant, tenir dans une tension raisonnable une écriture de chansonnière et des productions à vocation rave, c’est une mission périlleuse. Sauf peut-être quand ça vient du cœur.

Vous pouvez mettre tous les titres d'Une Nouvelle Chance dans un seul fichier audio et cliquer n’importe où, si vous connaissez un peu la dizaine de morceaux qui existaient jusque-là, vous ne risquez pas la grosse surprise. Et pourtant, derrière le substrat d’énergie, il y a quelque chose de structurellement distinct. Comme si on était passé d’une musique conçue comme une rencontre à une musique simplement co-construite. De la beauté du hasard à l’efficacité de l’architecture, il y a donc quelque chose d’effectivement nouveau dans le premier album d’ascendant vierge.

À commencer par des titres qui tirent vers des sonorités différentes, parfois plus lentes ou moins marquées par les kicks, comme « Ce monde où tu n’existes pas », qui pourrait complètement se placer sur un disque de Mylène Farmer. On pense également à des titres qui tentent quelque chose de différent, néanmoins toujours dans une volonté d’aller insérer le chant de Mathilde Fernandez dans autre chose. Et pourquoi pas le dub, avec « Aimer sur le long terme » ? Cette décision que rien n’est hors-champ pour ce projet, c’est pour les auditeurs·rices un sentiment agréable de savoir que toute surprise n’arrivera pas comme forcée, mais bien comme une idée qui aura pris organiquement dans les esprits du duo.

Et cette affinité, elle n’est pas qu’à l’origine de surprises ou de tentatives intéressantes pour mêler la chanson française à des musiques électroniques, mais c’est surtout une incroyable usine à tubes. Personnellement, j’ai un souvenir marquant de la sensation que j’ai eue en les voyant en concert la première fois, qu’il y avait dans leur musique quelque chose de générationnel. Cette cuisine minutieuse de paroles claires et profondes, posant des mélodies reconnaissables sur l’énergie incroyable de l’histoire du gabber ou des musiques hardcore en général, c’est quelque chose de très rare, capable de lier l’underground et le pop, et ce à tous les niveaux. C’est également ce qui fait que c’est une production qui fonctionne aussi bien en live.

Une production très consciente, puisqu’on ne met pas un titre live en fin d’album sans savoir ce qu’on vaut véritablement sur scène. Il faut le rappeler : ascendant vierge, c’est ce mélange assez rare du plaisir du tube qu’on peut chanter en live, et du plaisir de la rave qui nourrit la foule d’une force qu’aucun autre genre n’a su élaborer avec autant de radicalité. Le rework du titre de Danny Harle n’est pas là par hasard : comme chez le producteur le plus flegmatique du Royaume-Uni, on n’y sent aucune retenue dans le fait de poser dans le morceau l’évidence qui vient à l’esprit, ces lignes mélodiques qui viennent briser de l’intérieur l’idée même des musiques de niche.

Et plutôt que de dire qu’il y en a pour tout le monde sur ce disque, on aurait plutôt l’impression que le duo a enfin trouvé sa patte : plus pop, moins complexe, mais aussi plus assurée sur certaines sonorités. Bref, on a envie de voir Une Nouvelle Chance comme un tremplin vers non seulement un projet, mais même un ensemble de projets à la carrière longue.