Turning Dragon

Clark

Warp – 2008
par Simon, le 20 février 2008
9

On devait s’y attendre. S’attendre à une telle évolution de la part d’un artiste aussi fuyant que peut l'être Chris Clark (Clark depuis un certain Body Riddle, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir). Une reconversion technoïde qui avait été annoncée il y quelque temps d’ici, et dont les premières frasques avaient été étalées tout au long d’un court Ep (Throttle Promoter). Rien de bien étonnant à bien y regarder car une poignée de titres contenus dans le monument que fut Body Riddle avait allègrement préparé le terrain (« Vengeance Drool », « Ted » ») en faisant étalage d’un son massif, directement taillé pour les dancefloors les plus aiguisés. Autre facteur déterminant, l’exil de l’Anglais au cœur de la « Berlin Connexion », passé à écumer les clubs les plus suaves à la recherche d’un son nouveau, du moins plus en adéquation avec sa nouvelle vision de la nuit. Le reste suivit avec une étonnante facilité, preuve en est un laps de temps presque trop court pour venir à bout de son disque précédent.

Un changement radical qui prend racine pourtant dans quelque chose de connu, une puissance de feu inégalée, la marque de fabrique de cet artiste talentueux qui combine avec ses machines un pacte faustien diabolique, troquant le consensualisme sonore pour une physique du son tout simplement unique. Une théorie du chaos qui s’exprime, en l’espèce, par une folie post-apocalyptique de sons jetés en pâture à des kicks pachydermiques, un bain bouillonnant fait des déviances les plus sales. Une première approche qui se révèle difficile, la faute à des déflagrations annihilatrices, soutenues par des atmosphères industrielles grisâtres. Mais si regarder ce chaudron de loin s’avère éprouvant, ce n’est qu’une fois la tête dedans qu’on prendra la pleine mesure du génie subtil de ce disque. Une véritable mécanique des sentiments qui se cache derrière une maudite apparence rave, mêlant glissements de terrains d’intensité terrifiante à des bruissements donnant à cette machine du diable une apparence presque humaine dans un jeu dantesque de superpositions architecturales.

Une véritable usine rouillée qui fonctionne dans le contresens de Body Riddle, le chaos et l’apaisement se côtoyant comme deux frères ennemis, chacun surveillant les gestes de l’autre pour ne jamais paraître dépassé dans ce magma fait de feu et d’acide. Un sens inverse donc qui fait passer le côté physique et brutal avant toute autre chose, basculant seulement petit à petit vers des contrées moins terrifiantes à l’aide d’étincelles acidifiées et autre trompe-l’œil, faisceau de lumières blanches dans un monde de gris, dosées avec parcimonie et suffisamment puissantes pour se donner le courage d’avancer dans ce paysage de désolation.

Un trip travaillé au corps qui laisse l’auditeur exsangue, brûlé à même le cerveau par trop de contacts avec cette matière inflammable, là où le génie anglais s’empresse de commettre l’irréparable, y jeter une allumette pour consumer dans un flot de démence les restes d’un climat vicié. Turning Dragon se pose en définitive comme une bénédiction, consacrant le fait que Clark fait bel et bien partie des producteurs les plus géniaux de son époque, capable de transformer tout sur quoi son regard se pose en or. Jugez plutôt, quatre albums aux tournants significatifs, quatre manières d’approcher la musique électronique avec autant de doigté. Un talent qui ne ressemble à aucun autre. Magique.

Le goût des autres :
8 Julien 8 Nicolas