True Traitor

Leviathan

Profound Lore – 2025
par Simon, le 7 avril 2025
7

Profound Lore a-t-il voulu jouer la sécurité en rabotant un poil le titre de True Traitor, True Whore pour sa réédition vinyle en 2025 ? Difficile à dire, mais la retouche esthétique ne semble pas gratuite (il en va de même pour le changement de pochette). Après tout il s’agit bien ici d’une œuvre sulfureuse, écrite par un mec qui l’est tout autant, dans un contexte infiniment lugubre. On a toujours su que Leviathan était un type à la limite de la limite, parvenant mal à garder sa mauvaise vie pour lui seul. C’est peut-être cela d’ailleurs qui l’a amené à devenir le one-man-band le plus qualitatif de la scène black metal américaine en une vingtaine d’années, facturant des disques d’une misanthropie absolument dégueulasse, froids de leur manque total de second degré quand il s’agit d’aborder la violence physique et mentale, la question du suicide et l’apologie du mal-être sans limite.

Sauf qu’en 2011, notre tatoueur métalleux a quand même bien failli passer de l’autre côté de la barrière, pris dans une tourmente judiciaire qui l’a amené aux limites de la case prison. Accusé d’avoir battu et violé son ex-copine avec du matériel de tatouage, et en liberté après avoir payé sa caution en attente de son procès, Jef Whitehead a converti toute la merde qui faisait sa vie en un album monomaniaque. Dix mois plus tard, celui qu’on connait comme Wrest sera acquitté pour la question du viol, et condamné pour violences domestiques. Il ne nous restera de cette histoire que ce True Traitor, True Whore. Un disque écrit pendant la durée de ces dix mois, avec toutes les zones d’ombre que ça implique.

Qu’il s’agisse de sa très courte fenêtre de composition ou que celle-ci ait été marquée par l’usage ininterrompu de crack, True Traitor, True Whore n’a jamais été considéré par la plèbe comme le chef d’œuvre absolu de Leviathan. Pour beaucoup il n’est pas assez strictement black metal, souvent trop shoegaze ou post-punk, trop dispersé dans des effets sonores indésirables. La réédition a ce mérite de redécouvrir ce sixième album sous un jour nouveau. Pas pour des questions de mix ou de mastering, mais plutôt en raison du recul qu’on peut lui apposer une fois qu’on a définitivement fini de le comparer, pour la forme, au reste de sa discographie. Et si c’était justement toutes les faiblesses de ce True Traitor qui en faisaient un très bon disque ?

Prenez ces batteries par exemple. Si tout le monde s’accorde à dire que ça manque de tout droit – comme si le black metal n’en regorgeait pas déjà assez –, on appréciera grandement ce jeu désarticulé et multidirectionnel qui se classerait plutôt dans le jazz que dans les musiques extrêmes. Rythmiquement très intéressant, ce True Traitor fait évidemment la part belle à un paquet de guitares psychédéliques, malades comme à leur habitude, qui macèrent dans leur jus punk (mention spéciale à ce démarrage qui sonne comme du Pavement). On pourra lui reprocher de ne pas toujours aller au bout de ses idées, c’est vrai, de construire des ambiances dont les titres ne profitent pas de manière définitive. Mais ce serait minimiser la hauteur du travail de Wrest, qui nous a habitués à un tel niveau d’excellence que certains s’autoriseraient désormais à qualifier des œuvres simplement mineures comme un vulgaire tas de merde.

C’est probablement l’erreur à ne pas commettre ici : True Traitor est un bon disque, voire un très bon disque si on se mettait à le comparer au reste des sorties du genre. Il s’autorise juste, au vu des circonstances d’écriture, une attitude légèrement erratique, bien expérimentale à son niveau. Eclaté moralement (encore plus qu’à son habitude) et infiniment drogué, Leviathan nous a sorti à l’époque ce qui ressemble aujourd’hui à une œuvre qui se définit par rapport à elle-même, une sorte de spin-off d’une série excellente, à prendre pour l’expérience qu’il représente. Jef Whitehead est probablement un sale type au fond de lui, je n’en juge rien sinon sa capacité à sortir des grands disques de black metal hantés. Et True Traitor ne fait pas exception, peu importe ce qu’en disent les aigris.

Le goût des autres :