True Love Cast Out All Evil
Roky Erickson w/ Okkervil River
Le problème des âmes damnées du rock’n’roll, c’est que, le plus souvent, elles restent damnées pour de bon, sans possibilité de rédemption. On ne compte plus d’ailleurs les histoires qui prouvent que quand un type touche le fond, le racle et creuse encore, c’est un véritable miracle s’il arrive à s’en sortir ; surtout quand il est question de drogue, de maladie, de deuil, de pauvreté et surtout d’oubli. Pourtant Roky Erickson, c’est un peu tout cela à la fois. Autrefois figure de proue de l’acid rock avec les 13th Floor Elevator, Roky est arrêté pour possession de drogue et enfermé en hôpital psychiatrique. Le juge qui le condamne, considérant que son état lors de l’arrestation relève de la démence (Roky est sous acide), suggère le traitement standard aux électrochocs et à la thorazine. Son hospitalisation forcée dure des années et Roky perd pied petit à petit avec la réalité. A sa sortie, il n’est plus qu’une ombre, un bonhomme lessivé qui n’a plus toute sa tête. Il voit des démons, leur parle et rêve d’absolution. Les chansons qu’il compose alors, dans la rue ou chez qui veut bien s’occuper de lui, sont à l’image de sa souffrance. Durant 20 ans, il va errer à gauche et à droite, participant à des concerts de reprises et à des projets musicaux plus qu’hasardeux (Aliens notamment) que son état va vite faire avorter. A la fin des années 80, Roky survit de l’aide que lui apportent ses admirateurs de l’univers du garage, comme Thurston Moore ou Jon Spencer, mais disparait néanmoins petit à petit de la circulation. Ce n’est que dans le courant des années 2000 que Roky Erickson sort de sa torpeur. Henry Rollins et ZZ Top s’occupent de lui faire un semblant de pub tandis qu’il reçoit enfin le traitement adapté à sa schizophrénie. En 2008, Okkervil River l’accompagne au SXSW d’Austin durant lequel il rencontre un franc succès. De fil en aiguille, le groupe lui propose de concrétiser cette collaboration avec un album tout neuf qui s’avère être aussi la première vraie plaque de Roky en quatorze ans.
Il suffit d’écouter trente secondes de True Love Cast Out All Evil pour se rendre compte du chemin parcouru : on est à des kilomètres des performances des années 80 qui mettaient en scène un Roky malade et balbutiant. Désormais, c’est complètement lucide qu’il raconte les séances d’électrochocs, les rêves brisés, la culpabilité et les blâmes de ses proches ; le tout avec le ton à la fois rude et sincère d’un Vic Chesnutt ou d’un Bonnie ‘Prince’ Billy. La formule adoptée est celle de la balade folk classique, à tendance country, que les musicos d’Okkervil River viennent relever d’une guitare lead et d’un piano, qui fonctionnent un peu comme leur marque de fabrique. Avec le titre éponyme ou « Ain’t Blues Too Sad », on se rend compte que les deux horizons musicaux qui se rencontrent fonctionnent vraiment en bonne intelligence. Et même si on reconnait clairement la patte des austiniens, c’est toujours Roky qui a le dernier mot, ce qui n’est franchement pas plus mal.
Au final, on obtient un album aussi dense que lumineux et qui n’est pas aussi morose qu’il y parait. Parce qu’à la différence d’un vieux Eels ou d’un Elliott Smith qui vous enfonceraient à tête dans la dépression la plus profonde pour ne l’en retirer qu’après trois jours de boisson, Roky fini toujours sur une note positive ; et ce pour la simple et bonne raison qu’il est la preuve vivante qu’on peut mettre un pied hors de la tombe et se remettre à marcher, même avec une vie aussi dure que la sienne.