Tricky Meets South Rakkas Crew
Tricky Meets South Rakkas Crew
Petite révision de vos connaissances footballistiques: qui se souvient encore de Salvatore « Totò » Schillaci? Si ce nom ne vous dit plus rien ou évoque au mieux de vagues souvenirs, c'est bien normal. Ce sportif a connu son heure de gloire au beau milieu de l'été 1990, lors de la Coupe du Monde organisée par son pays et remportée par l'inévitable Mannschaft de Lothar Matthäus, Rudi Völler et Jurgen Klinsmann au terme d'un tournoi considéré comme bien chiant par tous les experts du ballon rond. Véritable héros de l'évènement, le petit Italien a fait des merveilles associé au bouclé Roberto Baggio et fait rêver des milliers de tiffozzi qui voyaient en lui un tout grand du ballon rond. Mais malgré de bonnes prédispositions et une Coupe du Monde brillante, Totò Schillaci n'a jamais été en mesure de devenir la superstar du foot que beaucoup voyaient en lui – malgré une carrière tout à fait honorable.
Si je vous parle de ce footballeur transalpin aujourd'hui tombé dans l'oubli, c'est qu'il possède son alter ego dans le monde de la musique et que celui-ci se prénomme Adrian Thaws, mieux connu sous le nom de Tricky. Sa Coupe du Monde à lui, Tricky l'a livrée en 1995, année de sortie de son désormais classique Maxinquaye. Alors en pleine folie trip hop, le monde entier craque pour la voix rocailleuse et les beats enfumés de ce gamin de Bristol qui a d'abord gravité autour de Massive Attack avant d'exploser en solo.
Mais au regard de la carrière solo du natif de Knowles West, on est en droit de se poser la question qui suit: Maxinquaye, pointe d'un iceberg de talent qui ne veut se montrer ou coup d'éclat isolé? Au regard de la discographie de Tricky, tout porte à penser que c'est la seconde option qu'il faut retenir. En effet, depuis Maxinquaye, sept autres albums solo sont venus garnir le palmarès de l'Anglais, des disques qui frôlaient plus souvent l'anodin ou le catastrophique que le sublime. Et de fait, aujourd'hui, la sortie d'un nouvel album de Tricky ne fait plus vraiment vibrer, tant le bonhomme nous a habitué à la déception tandis que son label nous promettait tantôt un retour aux sources, tantôt le meilleur album à ce jour depuis Maxinquaye. Et s'il est vrai que son petit dernier, Knowles West Boy, était loin d'être une daube, il n'y avait pas de quoi crier au miracle.
Mais pour ce nouveau projet, Tricky a tout mis en oeuvre pour nous mettre l'eau à la bouche et nous convaincre qu'il peut encore nous réserver de bonnes surprises. Pour ce faire, il a ainsi fait appel au South Rakkas Crew, le team de producteurs qui monte et qui s'est attelé à donner une seconde jeunesse à Knowles West Boy. Si le nom de South Rakkas Crew ne vous dit rien, sachez que cette équipe formée Dennis “Dow Jones” Shaw, Alex G and Riprock est actuellement ce qui se fait de mieux en matière de ragga/dancehall: les kadors du milieu comme Sizzla, Elephant Man ou Capleton ont déjà fait appel à leurs services, mais ils ont aussi appliqué leur talents de remixeurs à des compos de M.I.A. ou The Bug.
Evidemment, la seule lecture des termes « ragga » et « dancehall » en aura probablement fait fuir plus d'un. Mais les plus courageux de nos lecteurs ne regretteront pas de s'être enquillé trois bons paragraphes d'une chronique qui tire – il est vrai – un peu dans tous les sens. En effet, comme tous bons producteurs qui se respectent, les Américains du South Rakkas Crew aiment ratisser large et pimenter leurs productions d'ingrédients en tous genres, comme le dubstep, le crunk, le rock ou la french touch pour en retirer un mélange dont la fraîcheur et l'efficacité font plaisir à entendre. Bref, avant d'insérer le disque dans le lecteur, il convient de laisser au vestiaire les clichés les plus éculés fait de fumeurs de joint lançant à longueur de journée des 'Hey mon, wagwan' nonchalants car le South Rakkas Crew est plutôt du genre à accoucher d'une musique futuriste, complètement 2.0 et percutante. Quant à ceux qui ne supportent plus les murmures grisaillés de Tricky, ils seront heureux de lire qu'ici, l'artiste s'efface pour laisser les zozos du SRK et leurs meilleurs potes nous transporter dans une nouvelle galaxie enfumée où vocoders, basses monstrueuses et rythmiques tribales donnent le la.
Evidemment, si ce Tricky Meets South Rakkas Crew fait beaucoup de bien par où il passe, il ne faut pas oublier qu'il semble davantage être l'oeuvre du crew de Baltimore que celle du musicien de Bristol – ce qui ne nous rassure évidemment pas des masses sur l'état de forme général de Tricky. Par contre, pour ce qui est du South Rakkas Crew, avec un son et des productions de ce calibre, on ne se fait pas trop de soucis pour leur compte en banque ou leur carnet d'adresses. Le premier risque fort de voir les zéros s'amasser au fil des mois à venir tandis que le second manquera vite de pages à noircir de noms bien ronflants... Tout l'inverse de Tricky en somme.