Transfixiation
A Place to Bury Strangers
Il suffit de jeter un œil aux listes des meilleurs albums de cette première moitié de décennie dressées par Pitchfork, Stereogum ou GMD (ou tout autre site faisant pour toi lecteur office de dealer régulier de chroniques) constater que depuis cinq ans la tendance est plus au hip-hop chiadé (Kendrick Lamar, Kanye West), au R&B rutilant (Franck Ocean, The Weeknd) ou à la pop ciselée (Grizzly Bear, Vampire Weekend) qu’au revival shoegaze nerveux. Il y a pourtant au moins un groupe actuel qui se démarque des modes sans tenir compte de l’époque, c’est A Place To Bury Strangers, qui nous revient en ce début d’année avec son quatrième long format. Particulièrement attendu par les amateurs de tunnels soniques et de spasmes électriques, Transfixiation fait suite à Worship, qui avait marqué par son sens mélodique affirmé et avait pu être perçu comme un début d’accalmie pour le groupe le plus bruyant de Brooklyn.
Continuant dans cette lignée, le groupe, dont l’esthétique s'affirmée tant dans le style musical que dans l’univers qui l’entoure (fantastique pochette du Onwards to the Wall EP), ne ralentit pas le tempo mais dégraisse encore autour des voix, qui se font plus distinctes que jamais. La ligne de basse de "Supermaster" est menaçante, évoque un Joy Division sur ses gardes, attendant la prochaine crise d’épilepsie de son leader. "Straight", premier missile lâché en éclaireur il y a quelques semaines, est également dans la droite ligne des plus récentes réalisations. Plus innovant, le Sonic Youth-esque "Deeper" étire sa colère sur plus de 6 minutes, une première pour les new-yorkais.
Par moments, les mélodies sont à nouveau plongées à chaud dans des nappes de guitares saturées ("Love High", "What We Don’t See"), mais ce sont finalement les moments les moins percutants. À l’inverse les morceaux moins noyés laissent émerger du bruit le songwriting furieux qu’APTBS affine avec le temps, entaillant progressivement la chair de sa musique jusqu’à faire crisser ses guitares sur l’os. La dernière partie de l’album (l’enchainement "Now It’s Over", "I’m So Clean", "Fill The Void", "I Will Die", les titres ont le mérite d'être clairs) fait encore monter de trois crans la pression, bande-son idéale d’une nuit sans sommeil à mâcher sa rancœur ou à chercher du réconfort dans des bras moites et inconnus. L’électricité diluvienne a beau avoir cédé la place à un orage se retenant – tout juste - d’éclater, Transfixiation n’est pas vraiment recommandé pour faire passer le cafard. Serré comme un café noir et énervé comme le mec qui s’en est enfilé cinq à la suite, ce disque suinte le danger et la poudre. Méchamment revigorant.