Trahnie
Mika Vainio & Lucio Capece
Dire qu’on attendait impatiemment des nouvelles de Mika Vainio tient de l’euphémisme à bien regarder la place centrale que le Finlandais occupe au cœur du monde électronique : pionnier d’une techno minimale légendaire sous son pseudonyme Ø, membre effectif du duo interplanétaire Pan Sonic, collaborateur d’Alva Noto ou encore dépositaire occasionnel du label Raster Noton (contenant dans ses rangs Byetone, Kangding Ray et autres Ryoji Ikeda). Et c’est une fois de plus associé à d’autres dérangés du bulbe que l’on retrouve le sieur Vainio prêt à en découdre. Beaucoup plus discret quant à lui, Lucio Capece nous vient d’Argentine et s’inscrit dans la grande tradition du jazz improvisé. Deux personnages que tout semblait séparer, mais la ville de Berlin (lieu de résidence commun aux deux hommes) en a décidé autrement.
Présenté sur l’excellent label autrichien Editions Mego, Trahnie se veut avant tout comme une expérience prompte à déboussoler les oreilles les plus aguerries. Car si l'oreille a cette capacité folle de s’adapter aux sons les plus étranges pour peu que vous lui laissiez le temps, rien ne pouvait prédire qu’elle serait un jour confrontée à pareilles expérimentations. On définira donc Trahnie comme un recueil de onze pièces d’une électro-acoustique tantôt silencieuse, tantôt stridente, balancée entre micro-electronica chirurgicale, souffles organiques et destructions « saxophoniques ». C’est que Lucio Capece emploie son saxophone comme un militaire sur le front, attendant patiemment d’avoir fini d’essuyer les tirs du silence pour surgir tous calibres dehors pour mieux faire tomber l’ennemi en une salve unique. Quand il ne hurle pas à la mort, cette excroissance bâtarde (qu’un fou à un jour pensé à appeler saxophone) taillé pour la musique concrète accompagne comme un partenaire sexuel les souffles méphitiques et étouffés répandus par son comparse, profitant de son savoir-faire pour mieux s’illustrer dans sa polyvalence tonale. On n’avait jamais connu Vainio aussi radical dans sa composition (exception faite du Katodivaihe sorti par Pan Sonic), et c’est tant mieux.
Alors bien sûr un tel programme serait jusque-là bien lisse si nos deux briscards ne s’attachaient pas sans cesse à décloisonner les titres, taillant sur chaque diamant une infinité de faces, reliées entre elles par une humeur boisée née de la fusion électro-acoustique. Froid et sans cœur alors ? Certainement pas. Car derrière la bête se cache la belle : l’intense cohésion des formes, des textures, des architectures, donnent à l’auditeur l’occasion d’observer avec patience l’émergence de cathédrales aux contours sans cesse changeants. Regarder notre binôme poser les unes après les autres les briques de cette folle aventure picturale se révèle être un grand frisson dont on revient à chaque fois sonné par la force et la rigueur du propos. Une seule solution : creuser au plus profond du disque pour y découvrir les pépites qu’il possède indéniablement, à moins que votre oreille n’ait déjà rendu les armes devant la première heure de jusqu’au-boutisme musical. La terre a tremblé.